Dans le livre numérique, nous devons trouver de nouveaux modèles economiques : séries dont les épisodes sont vendus à prix abordable, formats courts, crowdfunding, etc., tout le monde essaye tout et parfois n’importe quoi (vendre un abonnement à un blog pour expliquer comment gagner des milliers d’euros en écrivant un bouquin, le tout en direct live, sans avoir aucune connaissance des réalités économiques du marché du livre numérique…).
Dans d’autres domaines, les choses sont déjà plus avancées. Prenons le jeu vidéo par exemple. DLC (contenu supplémentaire à acheter ou télécharger), Free to Play, abonnements mensuels, ou encore freemium sont devenus des termes qui font suer certains consommateurs. D’autant qu’à quelques occasions, il arrive que certains poussent l’expérience un peu trop loin.
Il y a peu, Electronic Arts à été élue plus mauvaise société américaine suite à des choix très discutables—en tout cas, leurs clients n’hésitent pas à les discuter. Réponse pleine de dédain de leur part, et sans aucune remise en question…
Nous sommes sûrs que les patrons de banques, de compagnies pétrolières, de compagnies tabatières et les fabricants d’armes sont tous soulagés de ne pas être dans la liste cette année. Nous allons continuer de faire des jeux et des services de qualité joués par plus de 300 millions de personnes dans le monde.
D’un côté, ce qui est dit n’est pas réellement faux. Mais ça donne vraiment l’impression d’une justification par le pire sur le mode « Non mais regardez, il y a pire ailleurs, alors passez à autre chose. »
Il y a quelques jours, j’ai néanmoins trouvé un concurrent sérieux…
Bienvenue à Hollywood !
(J’espère cependant que tu as les moyens financiers d’y vivre…)
Universal Movie Tycoon est un jeu iPad/iPhone/iPod qui célèbre le centenaire (en nous prenant pour des distributeurs de billets, vous allez vite comprendre pourquoi) du célèbre studio, auquel on doit, par exemple, « The Big Lebowski », « Bridget Jones » ou « Jurassic Park ». Le jeu est développé par Fuse Powered, dont on peut dire qu’ils ont effectivement pété un plomb…
Pour résumer, vous êtes un gros magnat du cinéma hollywoodien qui doit produire 32 films, donc en construire les décors, aménager les studios avec une petite note écologique —c’est tendance en ce moment—, offrir les meilleurs conditions de travail aux employés —on n’est pas chez Foxconn—, vous occuper du casting de chaque film, etc. Le principe semble donc sympa de prime abord, mais le jeu se révèle finalement très basique, la mécanique du jeu (gameplay) n’étant pas très poussée.
Et puis, pour être honnête, vous vous rendrez bien vite compte que ce n’est pas le jeu qui compte dans Universal Movie Tycoon, c’est la monétisation. Elle est tellement « intéressante » que j’ai décidé d’en faire un billet.
D’abord vendue 3€, l’app est devenue gratuite (et semble le rester). Note importante : rien n’a été changé entre-temps en ce qui concerne la publicité et les achats in-app.
Les premières heures se déroulent plutôt bien —faut bien offrir une dose pour créer l’addiction—, et la publicité n’est pas trop intrusive : liens vers les films dans iTunes, écran de publicité à l’ouverture de l’app qui ne vous donne rien, autres publicités ( vidéos de seulement 30 secondes) non imposées au joueur (c’est lui qui décide de les regarder) qui offrent royalement 2 movie magic chacune, partenariats qui attribuent beaucoup plus de movie magic. Par contre, petit point non négligeable, il faut obligatoirement une connexion internet + être loggé dans Game Center pour pouvoir jouer. Pourquoi cette connexion obligatoire aux serveurs ? Nul ne le sait. Peut-être qu’ils récupèrent des données ?
Rien de réellement rédhibitoire, donc ? Pauvre naïfs que vous faites, regardez donc plus en détail !
La monétisation pour les Escrocs… euh… pour les nuls.
Vous pensez que le pognon est le graal des studios Universal ? Eh bien non ! Chez Universal, Fée Clochette a pris le pouvoir (pour info, « Peter Pan » est disponible dans la liste des films à produire), on paye donc aussi en movie magic. Non, disons-le clairement, on paye surtout en movie magic.
J’ai calculé, il faut plus de 6700 movie magic pour tous les décors… auxquels nous pouvons rajouter 919 pour les immeubles. Et je vous passe le total des décorations comme les statues et arbres. Au final, il faut plus de 7600 movie magic pour terminer ce jeu. Fuse vous en offre 70 au début du jeu, si mes souvenirs sont bons.
À raison de deux publicités visibles par jour, il vous faudra 1907 jours soit plus de 5 ans et 3 mois pour terminer ce jeu… Nous allons donc jeter un petit coup d’œil aux achats in-app, et l’on découvre que le pack à 40€ attribue seulement 5000 movie magic… même pas de quoi finir.
Le gros problème, c’est qu’à partir de 30% de progression, tout est à acheter en movie magic ou presque, et l’argent ne sert plus à rien. Tout est fait pour vous faire cracher un maximum de pognon en achats in-app. Mais ça ne les empêche pas de vous vendre 500 000 pièces pour 40€, ce que vous pouvez facilement générer en quelques heures…
Bon, intéressons-nous plutôt aux offres partenaires.
Les offres partenaires
Nous avons donc Badoo, un site de rencontre. J’imagine bien la scène…
SuperCougar dit: Slt, T'es là pourquoi? Trouver l'amour, un coup d'un soir?
Groquik dit: Non non, je voulais mes 32 movie magic pour me payer
le plateau de Peter Pan...
SuperCougar dit: Ho nan, pas un geek, j'aime pas les geeks...
SuperCougar a quitté le chat.
Nous avons Tapjoy, qui vous aide à choisir des apps qui vous plairont à coup sûr… en installant une saloperie de profil directement dans votre iPad. Bref, big brother is watching you, merci de ne pas consulter Badoo depuis votre iPad si vous avez finalement décidé de vous en servir pour trouver l’amour… d’une nuit.
Par contre, il faut noter que si vous achetez un jeu à 2€99 chez Big Fish Games, vous recevrez autant de movie magic qu’en achetant le pack in-app à 8€, et 10 fois plus de movie magic qu’en achetant pour 50$ de marchandise sur un site de vente, Overstock.com…
Quand on vit dans une réalité alternative…
Ce « calibrage de monétisation » est tout simplement ubuesque, il découle d’une autre réalité économique. Quarante euros, c’est le prix d’un jeu Wii ou Pc qui est mille fois plus évolué ! Et encore, 40€ ne vous permettront même pas de terminer ce jeu.
Je comprends donc mieux pourquoi Spielberg se cache derrière sa casquette. Et s’il est simple employé des studios, avec sa petite salopette, c’est certainement qu’il a dû se ruiner en jouant à ce jeu…
Ont-ils entendu parler de cette anecdote, relatée par un ancien employé de Zynga, de ce mec qui a dépensé plus de 100 000 dollars sur « Mafia Wars » ?
En tout cas, chez Universal, la magie n’a pas de prix. Et Clochette disparaît, les poches bourrées d’oseille.
Petit exercice de style : imaginons un tel modèle économique dans le domaine du livre numérique.
Le lecteur peut donc lire trois chapitres mais, ô misère, l’encre électronique est bien trop chère pour les chapitres suivants (après tout, vu le prix des cartouches d’encre vendues par les fabricants d’imprimantes, c’est cohérent). Il faut donc s’inscrire sur tel ou tel site pour en récupérer un peu, regarder une publicité de 30 secondes pour pouvoir afficher 2 paragraphes, acheter chez tel revendeur pour accéder aux 5 chapitres suivants, acheter 2 ou 3 chapitres en sortant la carte bancaire, etc.
Le mot de la fin
D’habitude, j’aurais sorti un délicat « circulez, y’a rien à voir ». Mais là, quand même, la mécanique mercantile est tellement putassière que j’ai tout simplement décidé de publier ce billet. Alors si toi aussi ça t’attriste un peu, merci de faire tourner histoire que certains comprennent qu’il ne faudrait quand même pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Surtout que là, ce jeu ne leur casserait pas trois pattes…
Alors certes, le jeu est plutôt joli, le concept bien sympa mais, au final, ça reste quand même très simpliste : une simulation de résistance à l’achat in-app.
Et puis tant qu’à faire une référence à Audiard, autant continuer.
La preuve, ils ont carrément fait de l’achat de movie magic des succès…
Salut,
quelques petites erreurs relevées à la lecture de ce billet très divertissant :
dont on peu dire -> dont on peut dire
rien n’a été changé entretemps -> rien n’a été changé entre-temps
petit point non-négligeable -> petit point non négligeable
Ont ils entendu parler -> Ont-ils entendu parler
@+
Benoit
Merci, corrigé. 🙂
Wahou…
Incroyable. Il y a pire qu’EA Games !
Après, j’aime assez le concept de freemium même si finalement les joueurs prêts à payer pour du contenu additionnel paient bien plus qu’un jeu « normal ».
Un exemple concret. Je joue à League of Legends de Riot Games. Il y a deux monnaies. La monnaie IG que l’on gagne en faisant des parties et la monnaie qu’on obtient uniquement en payant avec de l’argent bien réel.
Le système de Riot n’est à mon avis pas pervers parce que le contenu accessible avec de l’argent réel n’est pas déterminant dans le jeu. Ce sont juste des skins de personnages et des bonus pour monter de niveau plus vite sachant que le niveau max s’obtient doucement et sûrement et n’influe pas sur le jeu. Par ailleurs, il arrive à Riot, d’offrir cette seconde monnaie à des occasions spéciales récompensant la fidélité de ses joueurs (et puis, surtout ça leur coûte rien d’offrir la skin qui existe déjà..). Ainsi, en ne payant rien, j’ai pu m’offrir des skins.
Évidemment, ce modèle économique ne marche que parce qu’il y a des gens pour payer le contenu additionnel et il est très possible que les joueurs comme moi - assez occasionnels ou tout simplement pas futiles - ne constituent qu’une petite minorité.
Oh et faites que ça ne soit jamais transposé dans le monde du livre numérique !
Déjà que je vois d’un très mauvais œil la proposition d’y incorporer des pubs…