Ce que « convertir » signifie

Pour beaucoup, convertir un livre en numérique se limite à appuyer sur un bouton, vérifier que le résultat espéré est atteint et effectuer quelques modifications sur le fichier source jusqu’à ce que ce soit effectivement le cas — les compromis se faisant au fur et à mesure des problèmes rencontrés.

Pour nous, convertir un livre en numérique est un marathon qui n’en finit jamais, une problématique complexe qui exige une attention de tous les instants.

Alors comment expliquer ces deux perceptions diamétralement opposées ?

« Convertir » est un terme qui peut englober peu et beaucoup de choses à la fois. En fonction des objectifs visés par la personne en charge de la conversion, cela peut tout aussi bien se résumer à cliquer sur un bouton (en faisant confiance au logiciel d’édition) ou se déployer dans ce que j’appellerais des « stratégies de conversion ».

Ces stratégies, nous les utilisons systématiquement, dans l’objectif de produire les fichiers de meilleure qualité possible, au tarif le plus juste possible et dans les meilleurs délais. Il faut bien comprendre que sans elles, il nous serait impossible d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.

Comment convertir un livre en numérique

Les stratégies de conversion

Je le répète parce que c’est important, nous ne pourrions faire sans ces stratégies. Je pense même sincèrement que les formations spécialisées « livre numérique » devraient intégrer un module dédié puisque nous tenons ici l’élément le plus important du processus de fabrication d’un livre numérique.

Une stratégie doit être mise en place dès l’analyse des fichiers qui serviront de source pour la conversion (InDesign, QuarkXpress, Word, PDF, etc.). Et cette stratégie se construit sur un nombre conséquent de facteurs plus ou moins importants — nous allons rapidement y venir.

C’est quasiment à l’œil que tout va se jouer. Mais « avoir l’œil » n’est pas quelque chose d’inné, il faut des mois et des mois de pratique pour l’acquérir. Cela demande de l’expertise — des connaissances avancées si vous préférez —, des recherches poussées par une certaine curiosité voire une forme de perfectionnisme, une maîtrise technique et beaucoup de documentation — à rédiger soi-même puisque les spécifications des revendeurs restent suffisamment rares pour être remarquées.

Attention, une stratégie n’est qu’un véhicule, elle amène d’un point A (le fichier source) à un point B (le fichier EPUB, Mobi, etc.). Autrement dit, elle n’est pas grand-chose sans les pièces que nous utilisons pour la construire, le soin que nous apportons à son entretien et l’imperturbable volonté d’en améliorer les performances régulièrement. Et il ne faudrait surtout pas oublier que les apps, dans lesquelles les fichiers seront lus, constituent des routes (mouvantes) sur lesquelles nous faisons évoluer nos stratégies/véhicules.

Un processus de production peut donc très vite déraper, devenir irrécupérable voire crasher en fonction de la complexité des problématiques avec lesquelles composer, parce que le véhicule choisi n’est finalement pas adapté à la situation.

Si nous nous permettons une métaphore très largement filée, c’est pour rendre compte de nos multiples rôles et compétences : constructeur, mécanicien, pilote et stratégiste.

À bien des égards, la conversion est une course contre la montre ; entreprendre la montée de Pikes Peak (objectif de qualité) avec une Twingo sortie d’usine risque de prendre beaucoup de temps — et l’on ne sait d’ailleurs même pas si nous arriverons bien au sommet.

Différents facteurs peuvent rendre la conversion complexe.

Les facteurs à prendre en compte

Disons-le sans attendre : il faut arrêter de penser que la quantité de travail à prévoir dépend du nombre de pages. Dans bon nombre de cas, et c’est le format du fichier source qui va donner une première indication, ce n’est absolument pas le cas.

Selon vous, entre ces deux ouvrages, lequel exige le plus de travail ?

  1. Un roman de 400 pages tout à fait classique
  2. Un essai de 120 pages comportant une cinquantaine de notes, une vingtaine d’images et des tableaux

Si vous pensez que c’est le deuxième ouvrage qui demandera le plus de travail, bravo.

En effet, les notes, images (qu’il faudra peut-être détourer ou optimiser) et tableaux (qu’il faudra sûrement adapter1) sont des facteurs à prendre en compte, elles amènent des problématiques bien particulières2 dont nous n’aurons pas à nous soucier lors de la conversion du roman.

Les facteurs guidant au choix d’une stratégie sont extrêmement nombreux :

  • le format source ;
  • la manière dont le contenu a été formaté et organisé sur la page, qui peut exiger que le fichier source soit modifié (totalement ou en partie) avant d’effectuer le travail sur le fichier EPUB à proprement parler ;
  • la complexité de la mise en pages et les types de contenus à traiter (images et tableaux mais aussi encadrés et mises en pages fantaisistes, par exemple) ;
  • le contenu texte lui-même (comporte-t-il beaucoup d’italiques ou de petites capitales ? faut-il y ajouter un nombre important d’insécables ? doit-on gérer des caractères spéciaux ? etc.) ;
  • les formats de sortie (EPUB 2 et EPUB 3, Mobi, iBooks Author, etc.).

Et ce ne sont là que les facteurs les plus importants, d’autres pouvant être ajoutés à cette liste en fonction de l’ouvrage à convertir. C’est précisément pour cette raison que nous demandons à ce que le fichier source nous soit fourni afin d’établir un devis, parce que les facteurs sont tellement nombreux et complexes que le coût d’une conversion est impossible à établir « au kilo » à notre humble avis — il est vrai que nous n’acceptons de faire aucun compromis sur la qualité du travail exécuté.

La prise en compte de ces facteurs doit permettre de choisir la meilleure stratégie possible. Mais tout ceci dépend aussi du processus de fabrication mis en place, le troisième pilier de la conversion, la mécanique qui la fait avancer.

La solution ? Un système modulaire et flexible, léger et pérenne.

Le processus de fabrication

Nous ne faisons pas confiance aux solutions « toutes faites » ; nous faisons avec quand nous n’avons pas le choix.

Pourquoi ?

Parce qu’une dépendance envers ces solutions est tout simplement suicidaire. L’outil disparaît et vous disparaissez avec lui.

Et puis, il y a d’autres arguments qui nous poussent à ne pas les utiliser : elles imposent un scénario pré-déterminé — qui ne prend souvent aucun compte de nos pratiques —, elles n’offrent aucune flexibilité, elles rendent les modifications et corrections très difficiles3, elles s’évertuent à ne jamais respecter et intégrer les bonnes pratiques — y préférant une bouillie de « hacks » qui ne méritent même pas ce nom.

Nous avons donc choisi de construire un système modulaire, qui tire avantage de pièces existantes (souvent open source). Il n’y a pas besoin de réinventer la roue et de créer une usine à gaz en partant de zéro, il suffit juste d’imbriquer et de détourner ce qui a fait ses preuves et a démontré sa pérennité.

Résultat : nous nous retrouvons avec un système flexible, hyper stable donc très facile à améliorer, aux modules majoritairement indépendants des solutions logicielles4 et qui ne nous a coûté que du temps.

C’est ce système qui permet d’établir des stratégies multiples et très finement adaptées.

Attention, je ne dis pas que ce système est parfait et qu’il est l’unique choix possible ; je dis simplement qu’il fonctionne très bien pour nous, qu’il est rodé, facile à réparer si un problème technique se pose et qu’il a été bâti autour des objectifs que nous nous sommes imposés — ce qui est un luxe.

Qui plus est, des pièces peuvent y être remplacées ou venir s’y ajouter sans engendrer une complexité supplémentaire, ce qui permet de rehausser encore un peu plus la qualité visée sans aucun surcoût. Et le tout sans faire appel à une armée de développeurs dont le but premier est finalement de ne pas casser tout le système existant.

Et surtout, ce système a été pensé autour de l’humain : il permet à ce dernier de travailler mieux et de prendre de meilleures décisions, il ne le remplace jamais.

Du papier au numérique, le chemin du livre n'est pas aussi facile que ce que l'on aime à penser.

Alors, concrètement, ça veut dire quoi « convertir » ?

Dans notre vision des choses, « convertir » implique donc ces 3 éléments clés :

  1. une mécanique flexible construite autour d’objectifs et de besoins bien déterminés ;
  2. une fine analyse des fichiers à convertir ;
  3. une stratégie de conversion précisément adaptée.

Si le fichier source InDesign demande beaucoup trop de modifications, parce que tout a été stylé à la barre de formatage ou que les styles ne sont pas cohérents, nous pouvons faire le choix de tout corriger directement dans le fichier EPUB, ce qui peut faire gagner énormément de temps (on peut par exemple passer 10 fois moins de temps sur cette étape du processus).

Si des espaces insécables viennent à manquer dans le fichier source, nous pouvons les ajouter par lots très simplement, à l’aide d’un outil « maison » dont les algorithmes sont basés sur les règles de typographie en usage.

Si un problème a échappé à notre vigilance dans le fichier source (césures conditionnelles d’InDesign qui provoquent un bogue sur iBooks par exemple), nous pouvons le corriger en un clic sans avoir à revenir dans InDesign.

S’il faut gérer une maquette de collection, nous pouvons créer et obtenir une feuille de styles CSS complète en quelques secondes et l’intégrer automatiquement dans les ouvrages suivants, sans même avoir à la copier et la coller.

Tout est question de stratégie, que nous élaborons après avoir analysé les fichiers sources et déterminé les problématiques de conversion. Puis nous n’avons plus qu’à empiler les modules pour construire un processus permettant d’optimiser la fabrication. Pour tout le reste, l’adaptation de la mise en pages en numérique par exemple, le système que nous avons développé nous offre le temps de le faire à la main, parce qu’aucune machine ne pourra jamais remplacer l’humain pour cette traduction/interprétation.

Et tout ceci est contenu dans le terme « conversion ». Et s’il est vrai que nous appuyons nous aussi sur des boutons — et pas un seul et unique bouton libellé « Export ePub » —, il faut surtout comprendre tout le travail qui a été entrepris de notre côté pour nous offrir ces boutons qui n’existaient pas avant.

Alors vous pourrez vous demander pourquoi nous nous « compliquons la vie » à la lecture de cet article, a fortiori si les solutions « toutes faites » vous conviennent, mais tout ce que nous avons construit depuis maintenant deux ans et demi n’a qu’un seul but au fond : faciliter la vie des autres.5

Et c’est déjà pas mal de pouvoir se le dire le matin en se levant.


 

  1. Il est communément admis que les tableaux sont une énorme problématique en numérique et que les plus complexes sont à réorganiser ou traduire sous une autre forme, une liste par exemple.
  2. Et attention à ne pas oublier d’intégrer l’accessibilité à ces problématiques.
  3. Alors qu’il y aurait franchement besoin de les rendre aisées tant certaines choses sont très mal prises en charges lors de l’export.
  4. Si un outil disparaît, nous ne serons pas touchés, exception faite des logiciels permettant la lecture et l’édition des fichiers sources.
  5. Et on continue d’y travailler, notamment sur le prochain projet personnel.