Le piratage ? Ce n’est plus mon problème.

Je vais être honnête. Le piratage, je ne préfère désormais plus m’en préoccuper. Les débats n’avancent pas, les confrontations me fatiguent, les participants restent campés sur leurs idées et arguments, les gens se comprennent de moins en moins.

Pour information, je me suis auto-piraté avec American Gonzo. Disons que ce n’était pas du piratage à proprement parler : j’ai simplement décidé de diffuser gratuitement le roman « pour voir ». Cela m’a permis d’essayer des voies alternatives de distribution et d’étudier les modèles qui avaient une chance de rétribuer un tout petit peu les créateurs. Sur la page de téléchargement, de la publicité pour financer les frais de fonctionnement du site, quelques produits dérivés (essentiellement des t-shirts) et un bouton pour donations. Inutile de faire remarquer que la rétribution a été plus que médiocre malgré les bons volumes de distribution atteints (plus de 5000 exemplaires en deux semaines, avec 3 liens directs postés ici et là). Je souligne tout de même que l’expérience a fait augmenter les ventes, autant en numérique qu’en papier.

Les lecteurs pouvaient diffuser le roman à leur guise, le pack complet (tous formats, toutes langues) se trouvant même sur quelques sites de téléchargement direct. Les lecteurs pouvaient également modifier et traduire le roman tant qu’ils n’en faisaient aucune exploitation commerciale.

Vous pouvez donc constater que je ne suis pas fermé sur ces sujets particuliers — voire problématiques.

Des grands idéaux comme des slogans publicitaires

Seulement, j’ai un peu de mal avec les plateformes comme feu The Pirate Bay et associés qui, avec des discours idéologiques grandiloquents, se sont fait un pognon monstre sur le dos de tout le monde. Pour moi, ce ne sont que des escrocs qui usent de l’arnaque intellectuelle pour générer du cash. Je reconnais que mon opinion est radicale mais ces personnes usent (et abusent) de grandes philosophies et brandissent des idéaux alors qu’ils ne cherchent qu’à remplacer les « diables » qu’ils critiquent. Ils ne font que les remplacer bêtement dans le nouveau mode de distribution qu’elles se sont inventé.

Il faut combattre l’ennemi, le label ou la major qui se fout du consommateur et ne rétribue pas l’artiste. Téléchargez, téléchargez et montrez à ces diables que vous vous rebellez et entrez en résistance.

Seulement, ces plateformes tellement puissantes n’ont jamais pensé à joindre le geste à la parole et offrir des solutions pour (1) mettre en avant les créateurs qui auraient choisi de diffuser de cette façon et (2) trouver un moyen de rétribuer à minima leur travail (pourcentage sur pubs du site, donations, etc.). Non, jamais ces plateformes n’ont bâti de solutions nouvelles pour donner du corps à leur discours, elles se sont juste limitées à laisser les utilisateurs faire tout le boulot et prendre tous les risques… tout en faisant des millions d’euros sur le dos de tout le monde, utilisateurs comme créateurs comme producteurs. Or, de nombreuses sociétés ont « changé le monde » après avoir commencé par des voies pirates ou illégales : Apple, certains sites de streaming, les radios privées. Ils avaient à peu près les mêmes arguments, ils avaient des idéaux et ils ont agi… contrairement à ces sites qui « partagent la culture par conviction ».

Personnellement, j’ai horreur d’entendre les gens faire des grands discours sans jamais agir. Si certains ont des problèmes judiciaires aujourd’hui, tant pis pour eux. Ils ont joué à profiter de tout le monde, ils ont perdu.

Un « mal » plus profond

Pour être honnête, je ne pense pas que le piratage soit notre plus gros problème aujourd’hui. Et nous focaliser sur le piratage nous fragilise encore un peu plus à mon sens.

Au fond, le piratage a toujours existé. Souvenez-vous des cassettes audio et VHS décriées à leur époque, puis des CD vierges qui les ont remplacées, eux-mêmes enterrés par de simples fichiers partagés via internet — d’ailleurs, je trouve toujours aussi ironique que des jeux Sony Playstation aient pu être piratés avec un graveur Sony et des CD vierges Sony…

Effectivement, le piratage s’est vu facilité par le développement de l’informatique et d’internet. Mais, nous avons toujours su faire avec.

La tendance forte n’est plus le piratage désormais, mais l’intérêt exclusif pour le tout gratuit, financé par la publicité et par vos informations personnelles. Dernièrement, nous avons appris que 77% des lecteurs français d’e-books se contentaient de livres gratuits. Or, les mêmes pourcentages s’appliquent sur les boutiques d’apps mobile. Vous trouverez même des consommateurs pour dire qu’un jeu iPad à 3,99€ est trop cher payé.

Le « tout gratuit » a été propagé par des nouveaux géants dont le modèle économique repose sur cette simple idée. Or, leur modèle économique tient de l’exception. Et seule la part de marché quasi monopolistique de ces géants permet au modèle d’être viable. Malheureusement, ils ont cherché à l’imposer à tous, mêmes aux plus petits, bien que ce modèle n’ait (une nouvelle fois) pas pris en compte les créateurs de contenu dans l’équation.

Rendez-vous compte ! Seulement 8% des utilisateurs d’internet comptent pour 85% des clics (le moyen de rétribuer blogs, développeurs, etc.) ;  les 10 plus gros sites américains représentent près de 75% des pages vues aux Etats-Unis. Vous comprendrez donc que les seuls gagnants du système sont : le moteur de recherche qui se trouve également être régie publicitaire, les plus gros qui sont les seuls capables d’atteindre des volumes de distribution/audience pouvant générer un (maigre) bénéfice. Voir cet article intéressant. Le problème est significatif puisque Google consent à offrir une compensation financière aux ayant-droits pour la numérisation de leurs livres sur son service dédié (140 millions de dollars).

Peu importe que les sites de streaming n’arrivent pas atteindre l’équilibre financier sur le gratuit + publicité. Peu importe que Netflix et de nombreux autres aient choisi un modèle 100% payant après avoir étudié la possibilité de la gratuité. Peu importe que Youtube ne génère quasiment aucun bénéfice et ne doit sa survie qu’à son rachat par… Google. Peu importe. L’idée que tout peut être accessible gratuitement est maintenant largement et fortement ancrée.

Et mon réel problème est donc… (roulement de tambour)

Le problème est que le consommateur, quand il ne paye pas un service, devient le produit vendu. L’idée est d’Andrew Lewis. D’ailleurs, un article indispensable a été publié ici. Il vous permettra de comprendre comment vous payez quand même ce qu’on vous fournit « gratuitement ».

Même en sortant de la boucle, Google pourra compiler des données sur vous. Même en protégeant votre vie privée (navigation privée, IP dynamique, etc.), Google pourra regrouper des informations sur vous. Je tiens d’ailleurs à rappeler qu’il a fallu l’intervention musclée d’une association pour que Google consente à changer ses règles. Au départ, le service avait prévu une rétention de données de 32 ans ainsi que l’attribution d’un identifiant unique à chaque utilisateur du service (c’est ce qu’on appelle un fichage, ce que tout le monde refuserait qu’un gouvernement s’autorise à faire). Voir ici. A l’heure où Google lance Google +, cela doit faire un minimum réfléchir.

Google n’est évidemment pas le seul à blâmer, d’autres jouant sur le même registre. C’est simplement le plus puissant donc celui qui illustre le mieux ce propos. J’aurais pu tout aussi bien choisir Facebook.

Mais le réel problème, à mon sens, réside dans le défaut d’information du grand public. S’il était clairement averti de ce qu’il a à donner en échange de cet accès gratuit, privilégierait-il autant le contenu gratuit ou chercherait-il à payer un peu plus souvent ?

Le réel problème réside dans cet accès gratuit qui a dévalorisé le contenu au point où il ne vous appartient plus jamais, même quand vous payez un service comme Netflix par exemple. Arrêtez de payer et tout disparait.

Le réel problème est l’analyse systématique de vos recherches et usages, effectués par ces services, pour vous proposer du contenu en rapport absolu avec vos centres d’intérêts ou des articles et opinions qui vont toujours un peu plus dans votre sens.

Le réel problème est le développement de ces solutions là où elles ne sont pas présentes pour le moment, car la société est empêtrée dans cette philosophie et ne veut surtout pas faire payer quoi que ce soit. Aujourd’hui vos téléphones, demain vos télévisions et vos voitures. Elles se conduiront toutes seules, libérant ainsi votre cerveau, permettant un usage d’internet lors d’un trajet et… l’analyse encore plus profonde de vos habitudes pour toujours mieux vous vendre. L’omniprésence, moyen privilégié pour entretenir la croissance.

Le vrai problème est que demain, votre revendeur ne vous félicitera plus de votre choix ; une caméra vous observera et vous dira « vous aimerez aussi… et en plus, c’est gratuit. »

Le réel problème est que le système du tout gratuit sert moins la diffusion des contenus à tous que la recommandation de produits à l’échelle de l’individu. Et ça, même le piratage n’a pas osé, privilégiant encore la découverte et le libre-choix…

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