L’enjeu stratégique des services d’auto-pub

Nous avons récemment publié un guide de l’auto-publication en anglais, The Writers Guide to Self-ePublishing, centré sur le marché anglo-saxon. Ce guide se veut être une boîte à outils pour les aspirants-auteurs qui n’y connaissent rien, en entendent parler et voudraient se lancer dans ce processus long et difficile. Il leur permettra également — j’aime à le penser en tout cas — de faire leur choix en connaissance de cause.

Pour synthétiser, l’auto-publication est un enjeu majeur de l’édition numérique et les plateformes anglo-saxonnes l’ont parfaitement intégré. En France, nous n’en sommes malheureusement pas encore là, l’auteur auto-publié étant considéré comme un sous-auteur par nombre de plateformes. C’est la raison qui nous a poussé à ne pas traduire l’ouvrage pour le moment.

Intéressons-nous un peu plus au traitement de cet enjeu de l’autre côté de l’Atlantique, nous pourrons dire que nous le savions dix ans avant les grands stratèges qui peinent à imposer leurs solutions en France…

KDP

Amazon, précurseur de l’utopie fonctionnelle

  1. Amazon lance Kindle, celui-ci est accompagné d’un service de publication directe appelé DTP, alors en beta test, et le promeut auprès des auteurs reconnus par mail. Bien évidemment, les autres auteurs en entendront parler via les publicités qu’Amazon place un peu partout sur son site.

Ce système est, à bien des égards, révolutionnaire. Amazon permet de se passer d’une maison d’édition pour publier son livre, propose un outil simple d’emploi et extrêmement rapide (voir ici) tout en acceptant de faire confiance (absolue) aux auteurs. Le risque est inouï, l’auto-publication ayant mauvaise presse et fortement affilié à ce qu’on appelle Vanity Publishing.

Mieux encore, Amazon offre 35% de royalties, soit 3.5 fois ce que les maisons donnent en moyenne aux auteurs qu’ils publient.

L’auto-publication, la « petite chaîne » qui monte peu à peu dans le Top 100

Amazon, avec ce système utopique, attire nombre d’auteurs, qu’ils soient publiés ou non. En proposant de mieux les rétribuer, en ne facturant pas la fabrication de leurs e-books de manière frontale (coût inclus dans les 65% d’Amazon) et en bâtissant un écosystème complet (CreateSpace pour le Print on Demand, Author Central pour la promotion, les discussions Kindle directement intégrées sur les pages-produit, APIs pour services tiers, etc.), le géant se voit récompensé de cette prise de risque : au lieu de se montrer gourmands, les auteurs qui passent par DTP charcutent littéralement les prix. Résultat, ils commencent à intégrer le TOP 100 et tirent la croissance de Kindle dans une proportion non-négligeable.

Des auteurs mid-list détournent même la plateforme pour publier les manuscrits rejetés par leurs éditeurs, amenant une fan base à opter pour Kindle étant donné que c’est le seul endroit où ces lecteurs trouveront des inédits de leurs auteurs préférés, tout en ayant la possibilité de les rétribuer davantage.

Au final, les auteurs auto-publiés trustent jusqu’à 30 ou 40% du TOP 100 Kindle, avec des prix accessibles.

June2011 Charts Kindle

Nombre d’auto-publiés dans le Top 100 en 2011

Face à ce succès, le service se généralise

Les concurrents suivent rapidement, même s’ils n’ouvrent leurs portes aussi largement. Kobo opère une sélection par mail, B&N réfléchit à un service type Amazon et développe Pub It! dans son coin, tout en en faisant la promotion par mail auprès des clients de la marque histoire qu’ils sachent qu’ils seront bientôt accueillis avec le sourire. Feedbooks s’impose tranquillement de son côté, avec une stratégie très réfléchie et bien pensée.

L’auto-publication devient une tendance forte. Les blogs et sites ne le savent pas encore, mais ils en parleront très bientôt.

Smashwords, petite plateforme indépendante pour auteurs auto-publiés, noue des partenariats pour bâtir un système de Premium Distribution : les livres de qualité se retrouvent sur les plateformes majeures, renforçant encore la place de cette alternative de publication dans la distribution numérique. Les revendeurs y trouvent plusieurs intérêts : proposer des livres que l’on ne trouve nulle part ailleurs, vendre des e-books très peu chers, développer rapidement le catalogue et le diversifier.

Les éditeurs traditionnels ne le savent pas encore, mais ils sont en train de perdre une bataille majeure.

Des évolutions radicales en passe d’en faire un « levier politique » surpuissant

  1. Apple s’invite sur le marché avec iBookStore et rétribue les auteurs et éditeurs à hauteur de 70% ! Amazon est logiquement obligé de s’aligner. Au lieu de se plaindre, le géant de Seattle va transformer cette catastrophe en levier stratégique.

DTP devient KDP, Amazon ouvre son catalogue à toutes les langues et, par extension, aux auteurs du monde entier. Plus important encore, l’entreprise bâtit une stratégie prix/royalty étonnante mais géniale. Pour faire baisser les prix, Amazon ne consent à fixer les 70% de royalties que dans une fourchette prédéfinie : seuls les livres dont le prix est compris entre $2.99 et $9.99 pourront être éligibles. Tout ce qui se situe en dehors de cette fourchette se voit appliqué l’ancien taux de 35%.

Panique monstrueuse chez les gros éditeurs qui sont obligés de revoir leurs prix le temps de négocier des contrats d’éditeur. Les e-books de la trilogie Millenium (premier million-seller Kindle) se dénichent alors à 7 ou 8 dollars. Non seulement, les éditeurs et auto-publiés touchent autant à ce prix qu’à 15 dollars, mais ils sont susceptibles de vendre en plus grande quantité.

En résumé, Amazon prouve que le marché de l’e-book peut rétribuer mieux tout en vendant moins cher. Reste le problème du papier pour les grosses maisons : comment expliquer une telle différence de prix papier/e-Book aux consommateurs qui se sentiront lésés s’ils ne disposent pas d’un Kindle ? Les contrats sont prêts mais…

PubIt

Pubit!, système KDP à la sauce B&N

Les plateformes savent que l’auto-publication est un enjeu ultra-important

L’auto-publication explose. J.A. Konrath, Amanda Hocking, John Locke remplacent Stieg Larsson à la une des headers des sites internet. Ils vendent beaucoup, touchent beaucoup plus et démontrent qu’ils n’ont plus besoin des maisons d’édition pour trouver un public. Bien évidemment, les plateformes appuient sur ces symboles pour promouvoir une autre vision de la publication, une vision où l’agent et l’éditeur ne sont plus.

Ils appuient d’autant plus volontiers qu’ils ont les moyens de le faire. Le Top 100 Kindle regorge toujours de livres auto-publiés, disponibles à un prix inférieur à $4. Les maisons sont obligées de jouer le jeu et de revoir leur tarifs, de s’engager pleinement pour éviter qu’une bonne part du gâteau ne revienne aux indépendants. C’est une question de prestige et de visibilité. Etre dans le Top 100 (ou Top 50) est un achievement que l’on peut facilement mettre en avant pour booster les ventes, le New York Times ayant décidé de le publier. En outre, plus les consommateurs seront habitués à voir des livres peu onéreux dans ce Top 100, plus il sera intenable de distribuer trop cher.

Amazon le sait tellement bien, elle qui s’est servi de l’auto-publication comme d’un levier politique auprès des éditeurs, qu’elle évite la « catastrophe Hocking » en sortant son chéquier quand celle-ci décide de signer chez un éditeur contre 2 millions de dollars. Il faut choyer les auto-publiés, qu’ils aient du succès ou non, puisqu’ils sont utiles aux négociations avec les éditeurs traditionnels et permettent de garder un catalogue accessible pour les lecteurs.

Le géant commence même à publier quelques auteurs directement, devenant maison d’édition pour l’occasion.

BestSellers Kindle

Top 5 Kindle Juin 2011, remarquez les prix…

Et en France ?

Malgré le courage et l’abnégation de certaines plateformes (Feedbooks, Immatériel, Publie.net qui fonctionne sur un mode légèrement différent), l’auteur auto-édité est toujours un oublié dans l’écosystème mis en place aujourd’hui. Voir cet article pour s’en convaincre, les choses n’ayant pas réellement changé.

Même les pure-players sont parfois considérés comme des pestiférés dans l’écosystème numérique. Or, comme l’ont démontré les revendeurs US, les plateformes ont absolument tout à y perdre, tant au niveau de l’offre que du rapport de force avec les éditeurs.

Bien évidemment, ces services ne sont pas les seuls leviers sur lesquels les revendeurs se sont appuyés, mais force est de constater qu’ils ont largement servi leurs intérêts — il faudrait réellement écrire un bouquin pour apprendre à certaines plateformes françaises comment envisager le business e-book puisqu’elles semblent incapables d’analyser les stratégies de B&N, Kindle ou Kobo toutes seules…

Tant qu’une réflexion sur cet axe ne sera pas envisagée et que l’on refusera de faire confiance aux petits et aux indépendants, nous peinerons à imposer le livre numérique (d’autant plus que le prix unique est une hérésie sans nom et que les autres cultures n’arrivent même pas le comprendre).

A bon entendeur…

3 commentaires L’enjeu stratégique des services d’auto-pub

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