Succès de l’auto-pub US : facteurs importants.

Nous regardons très souvent le marché numérique américain (voire anglo-saxon) avec bonheur ou jalousie. En fait, nous envions même souvent le succès de leurs auteurs auto-publiés. Faut dire que pas mal de sites en parlent, que les gros médias s’opposent avec des arguments bidons et que des mecs arrivent vendre leurs bouquins par millions. Du coup, les éditeurs traditionnels cherchent de plus en plus souvent à les séduire tandis qu’Amazon sort son chéquier pour les garder. Bon, on ne va pas énumérer les faits d’armes de Hocking, Konrath, Locke et consorts. Ce qui nous intéresse finalement, c’est que les conditions étaient réunies à leur explosion.

Facteur législatif

On ne va pas revenir là-dessus, le sujet est quand même pas mal douloureux pour les entrepreneurs français qui souffrent de lourds handicaps dans un système maintenant archaïque. La bureaucratie finira bien par avoir notre peau un de ces quatre. Et quand tu constates, avec effroi, qu’un auteur auto-publié n’est même pas vraiment reconnu puisqu’il est considéré comme un auteur à compte d’auteur, t’as envie de te marrer et de repeindre la pièce en jaune cocu. Bref, s’il n’exerce pas de profession, il sera obligé de se déclarer comme travailleur indépendant (auto-entrepreneur, profession libérale ?) et devra payer toutes les charges qui vont avec. Autant dire que les claques se perdent à l’Assemblée Nationale et que nous devons accepter que les députés perpétuent un meurtre contre la culture sans piper mot !

Facteur (contre-)culturel

Facteur « matière à débat », nombre d’auteurs ricains considérant que la contre-culture est largement plus forte en France. Malgré tout, j’ai envie de dire qu’ils ne savent pas combien ils sont chanceux, eux.

Déjà, les lecteurs ont bien assimilé que le livre était un business comme un autre et pas un truc romantique.

Ensuite, ils aiment bien les indépendants et les alternatifs. Fu Manchu, Kyuss ou QOTSA qui arrivent se faire une place auprès d’une frange du grand public en France… on ne le verra jamais, les gars. Le jour où le Palahniuk français sera en tête de gondole de la Fnac et verra un de ses romans adapté au ciné, on pourra marquer le jour d’une pierre blanche sur le calendrier de l’année 2137.

Du coup, les ricains n’ont eu aucun remords à faire péter le système traditionnel et attribuer leur confiance à ces indés, qui vendent à bas prix généralement. Bah ouais, disons le clairement, le marché US est énorme (et s’étend dans le monde d’ailleurs) et permet a des « tarés » qui écrivent des bouquins de niche de pouvoir payer les factures. Acheter un bouquin auto-publié, pour certains, c’est aussi rentrer en guerre contre le système et punir les gros qui ne pensent qu’à ton portefeuille. D’ailleurs, quelques auteurs auto-publiés n’hésitent même plus à jouer sur cette corde et à proclamer leur rejet du Big Six, voire avouer un dumping du livre indé en admettant qu’ils fixent un prix injuste (unfair price), comprendre des prix auxquels les publishers perdraient de l’argent à chaque exemplaire vendu. Et puis ça ne s’applique pas qu’aux auto-publiés, ça s’applique aussi aux éditeurs papier über-spécialisés (genre la bizarro-fiction qui a même droit à des critiques dans le Guardian…)

Facteur faillite

On parle ici de la faillite du système de publication papier. Bien sûr, le système ricain est très différent du nôtre étant donné que l’agent littéraire y est roi. Mais ça ne joue pas tant que ça, au fond. En France, l’éditeur veut les pleins pouvoirs (demande donc à Gallimard ce qu’il pense de Jonathan Littell, tu vas te marrer). On digresse, on diverge, revenons-en au principal. L’agent littéraire, il se retrouve bien dans la merde avec ses manuscrits vu qu’il met 6 à 12 mois à les traiter. S’il faut éditer, on repart pour un tour. Au final, on en finit plus. Et autant dire que si ton roman surfe sur une tendance et que trop de bouquins ont été publiés dans ce genre ou sous-genre, il n’a plus aucun intérêt et ne sera pas publié.

Et je ne te parle même pas de ta promo qui devra se concentrer sur deux semaines, le temps que ton bouquin papier soit présent sur les étals des libraires. Si tu ne vends pas, va te faire foutre, on passe à autre chose.

Le système papier apparaît désormais comme un système totalement dépassé face à la société moderne. Du coup, c’est con, certains agents conseillent à leurs poulains de s’auto-publier… 700.000 auteurs auto-publiés rien qu’aux USA, les gars.

Vision d’horreur pour certains, triste réalité pour ceux qui sont dans le système papier.

Facteur Rébellion

C’est génial comme transition (un peu d’auto-congratulation), ce facteur est intimement lié au facteur précédent.

Avec la crise, moins d’éditeurs (ceux qui améliorent, pas ceux qui publient), moins de correcteurs et la charge de travail qui est mise sur le dos de l’auteur. L’auteur moyen, il a bon dos ! L’éditeur, il lui fait porter le coût de l’édition et de la correction si elle est nécessaire. En bonus, il doit faire sa promo lui-même. Du coup, le publisher, il assume de moins en moins son rôle et décentralise son boulot sur l’auteur. Inutile de souligner le fait que si un auteur best-seller se ramène avec son manuscrit dans une période où l’auteur mid-list a été proclamé « auteur à promouvoir », le petit-auteur-qui-vend-pas-mal-mais-pas-assez l’a dans le fondement : plus de support promo de la part de l’éditeur. Quand tu y penses, ça fait quand même mal.

Résultat, bon nombre d’auteurs en ont marre et s’auto-publient vu qu’ils font déjà tout le boulot. Et ces auteurs-là, ils sont habitués à faire leur promo et à gérer pas mal d’étapes d’édition et de publication. Alors quand Amazon leur promet 70% de royalties, ils claquent la porte de leur cher éditeur et rameutent leurs lecteurs loyaux dans la sphère du numérique. Bref, les éditeurs se sont foutus pas mal d’auteurs à dos ; les services de publication directe des revendeurs ont su les récupérer. Au final, les éditeurs s’époumonent et essayent de se convaincre qu’ils sont encore vitaux alors qu’ils ont déconsidéré les mecs qui leur ramenaient du pognon.  Boom Shaka Laka, les publishers se prennent le retour de flamme en pleine gueule, d’autant que ces auteurs-là ont en général des lecteurs vraiment loyaux et qu’ils ont une réelle crédibilité vu qu’ils ont été publiés auparavant…

Facteur commercial

On ne va pas tergiverser. Amazon, Barnes & Noble ou Kobo sont entrés en guerre froide contre les éditeurs, voir mon article qui en parle plus en profondeur. Le jour où la Fnac le fait spontanément, j’offre Spirit of ‘76 à tous ceux qui m’enverront un mail dans les 12 heures. Numilog, on n’en parle pas… la plateforme était détenue par Hachette (et pratique l’auto-publication très payante via jepublie.com).

Facteur communauté

On n’y pense pas vraiment mais c’est un facteur important. D’un côté, tu as les auteurs qui partagent leurs astuces pour connaître le succès en auto-publication. De l’autre, tu as les lecteurs qui partagent les livres auto-publiés qu’ils ont découvert. Pour résumer, la chose prend la forme d’un combat contre l’ordre établi sur le terrain que l’éditeur maîtrise le moins : le net. Les lecteurs s’imposent comme les nouveaux prescripteurs et un article de blog est maintenant susceptible de booster davantage les ventes qu’un article dans un journal papier. Faut dire que les lecteurs en ont un peu ras le bol des conflits d’intérêts du type critique littéraire qui publie chez un éditeur. Du coup, ils ont profité de l’aubaine numérique pour reprendre leur place naturelle. Le critique littéraire, il peut gueuler. Force est de constater que les pratiques de certains ont juste pourri son statut. À un moment, faut arrêter de prendre les gens pour des cons.

On passe sur les sites beaucoup plus spécialisés (listings de livres gratuits, « communautés de tag Kindle », sites de critiques, etc), on y passerait des heures.

J’en oublierais presque un autre truc : l’émergence de stars de l’auto-publication, les icônes qu’on met en avant pour dire que ça fonctionne ! Merde, les auto-publiés à succès maîtrisent le marketing, alors ?

Je vous présente l’ennemi numéro 1 des Éditeurs.

Et en France, alors ?

Bonne nouvelle, on sent que le vent commence à tourner. On arrive même esquisser certains facteurs favorables. D’une, Kobo et Amazon arrivent. De deux, Ayerdhal est parti en guerre contre les éditeurs (Nabe et Dantec seraient peut-être bien inspirés de le rejoindre, d’autant qu’ils ont déjà envoyé bouler leurs éditeurs). De trois, mon guide de l’auto-publication va enfin être publié en français (hop, combo auto-promo + placement produit). De quatre, les derniers scandales de l’édition (plagiats intertextuels) font remonter des cadavres à la surface (vous savez, ces pratiques de merde qui ont cours chez pas mal d’éditeurs et que les lecteurs veulent absolument voir cesser, conflits d’intérêts et copinage en tête…)

Voilà, nous reste plus qu’à convaincre les lecteurs que nous sommes dignes de confiance et qu’ils ont tout à gagner à privilégier les indés (papier ou numérique) pour faire plier les gros. Ce n’est pas précisément une lutte des classes mais c’est tout comme… on est plutôt bons là-dedans en France, non ?

16 commentaires Succès de l’auto-pub US : facteurs importants.

  1. Merrill

    C’est promis, j’ajoute un sous forum pour l’auto-publication dès qu’il y en a la demande http://forum.lejdk.com/index.php !

    Sinon, je mise sur un déblocage de la situation en France dès que le Kindle arrivera et que quelques indés commenceront à truster la listes des meilleures ventes avec des livres à 0.99€ quand les livres des Gallimard et autres ne seront pas dispo ou alors à un prix prohibitif.
    Moi qui ai publié un premier livre avec un éditeur traditionnel et touché 6 % de royalties, je sais bien où je publierai le prochain !

  2. Jiminy Panoz

    Effectivement, ça risque de s’accélérer quand Amazon ouvrira KDP aux français. C’est une conviction personnelle mais je suis persuadé ne pas avoir tort sur ce point-là. ^^

  3. Sediter

    Super ton article ! 😉

    J’ai longuement hésité à m’arrêter là, mais comme tu t’efforces de publier des quasis articles sur mon blog, ça risque de faire un peu pingre. J’ai donc décidé d’écrire un commentaire de trente pages, en trois sous-partie et de… Bref !

    Pour être un poil plus sérieux, ton article est vraiment pas mal pour nous aut’ français car au final, il donne plus des pistes sur nos propres évolutions plutôt que de s’attarder outre mesure (et oui, « outre mesure », j’ai des supers expressions en stock !) sur le marché américain.

    Facteur législatif : ne revenons pas dessus ! 100% d’accord avec toi là-dessus, même si -tu le soulignais toi-même je ne sais plus où- c’est un défaut concernant l’entrepreneuriat français en général et pas seulement les auteurs.

    Facteur culturel : je bloque un peu plus. Tu as sans doute raison, mais personnellement je ne suis pas si sûr que le Français ait vraiment et définitivement dissocié le livre du romantique. Je donnerai simplement comme exemple l’attachement au livre papier (il sent bon, il est doux, il coûte cher) et les multiples interventions des éditeurs en ce sens : « Sauvez la culture, achetez chez le roi des éditeurs ! ». Oui, j’ai conscience que les consommateurs ne sont pas (tous… hum…) cons, mais si l’éditeur joue encore sur la corde sensible de la culture romantique, c’est que certains y sont encore réceptifs.

    Autre phrase que j’aurai présentée autrement, celle-ci : « Acheter un bouquin auto-publié, c’est aussi rentrer en guerre contre le système et punir les gros qui ne pensent qu’à ton portefeuille. » Comme à ton habitude, tu es toujours dans le conflit Panoz, tu devrais faire la paix avec ton Moi intérieur. Bref, acheter auto-publié n’est pas un acte de guerre (s’auto-publier peut en être un en revanche) mais un acte d’amour : acheter un bouquin auto-publié, c’est surtout s’assurer que l’auteur sera rétribué à sa juste valeur, et que ce n’est pas un éditeur véreux qui encaissera tout l’argent en laissant des miettes à ses auteurs esclaves. Le jour où les éditeurs offriront juste rétribution à leurs auteurs (mu ah ah ! La blague !) alors le lecteur sensible à l’éthique et au bien-être de son auteur ne rechignera plus à acheter chez un éditeur. Par ailleurs, acheter auto-publié s’est aussi permettre à des « petits » de s’exprimer. « Petits » non pas par leur qualité littéraire, mais par leur genre (les über-spécialisés comme tu dis si bien).

    Enfin, -je m’attarde, je m’attarde, et ça n’en finit plus tout ça !- une dernière remarque sur ton article : il me fait songer à l’évolution de l’édition française. Il y a fort à parier que, si vraiment le numérique, l’auto-publication marche en France tout ça tout ça, on risque de voir se multiplier les « agents » littéraires à l’américaine, qui offriraient une partie des services éditoriaux sans amputer les libertés de l’auteur. Bref, autant dire que les éditeurs à compte d’auteur risquent de se reconvertir prochainement ! Autre possibilité, qui tient presque de l’utopie, les associations d’auteurs auto-publiés sous forme de réseaux, qui s’entraideraient et s’offriraient une notoriété commune, et une image de sérieux. Au final, on peut se dire que « Auteurs associés Inc. » pourrait très bien peser autant à l’avenir que pèse aujourd’hui Gallimard (woua c’est édité chez « Auteurs associés Inc. ça veut dire que c’est forcément bien, que l’epub sera nickel, que ce sera génial !) à la différence près que « Auteurs associés Inc. » serait composé d’auteurs/businessmen, et pas seulement de businessmen.

    Je m’égare un peu non ?

  4. Jiminy Panoz

    « Acheter un bouquin auto-publié, c’est aussi rentrer en guerre contre le système et punir les gros qui ne pensent qu’à ton portefeuille. » Comme à ton habitude, tu es toujours dans le conflit Panoz, tu devrais faire la paix avec ton Moi intérieur.  »

    Je reviens juste sur ce point. Je peux t’assurer, à 101%, que ça n’a rien à voir avec mon moi intérieur. Suffit de regarder Konrath qui chie littéralement sur le Big Six US, et qui passe aujourd’hui ses articles de blog à jouer là-dessus. Suffit de voir l’intro de Locke, dans son bouquin sur sa stratégie de vente, qui passe bien 4 ou 5 pages dessus. Lui, il va encore plus loin vu qu’il dit ouvertement « Quand je vends un livre 1 dollar, l’éditeur qui vend son bouquin 10 dollars doit prouver que son livre est dix fois meilleur que le mien » ; il n’est plus sur le mode « Quand je vends un bouquin un dollar, vous ne prenez aucun risque à essayer ». TheSFReader pourra également te donner d’autres exemples (celle qui a écrit sur la vase littéraire)… Or, quand les auteurs commencent à communiquer là-dessus, c’est que leur combat se déporte sur le lecteur et que c’est un argument qui fait mouche. D’où mon « raccourci », bien que je n’ai aucun doute sur le fait que des lecteurs achètent d’ores et déjà dans cette optique de combat contre l’ordre établi.

    Sérieusement, hein, si j’ai ce sentiment-là, ce n’est pas pour rien. Aujourd’hui, les têtes d’affiches jouent sur cet argument du conflit, en abusent même. C’est devenu réellement violent désormais, et je n’avais pas manqué de le souligner que si des auteurs auto-publiés français devenaient des stars de l’auto-publication, ça allait être une boucherie avec le Big Six à la française 😉
    Je le répète, Konrath, depuis des mois, il se fout de la gueule des gros éditeurs et il joue sur ce point-là.
    Tu remarqueras le « aussi » qui en dit beaucoup et peu à la fois. Dans ce « aussi », on peut bien évidemment intégrer l’acte d’amour.

    Edit : j’oublie Ayerdhal qui est pas mal non plus dans le genre petite pique. Lui, il n’a pas d’ami libraire, il a des mecs qui gagnent 4 fois plus que lui sur chacune de ses ventes. ^^

    Edit 2 : j’ai MAJ le post en ajoutant « pour certains », qui était l’idée de base finalement. J’ai pêché par excès de maladresse 😉

  5. Sediter

    Eh, eh ! Tes édits me touchent profondément ! 🙂 Non mais je comprends tout à fait ta position et la partage en grande partie ! C’était juste histoire de te critiquer négativement parce que ça fait grimper les ventes !

    Je dois franchement avouer qu’à force de parler numérique et auto-édition, il m’arrive de perdre un peu de motivation et de me dire qu’au final, on est peut être que des cons coincés dans une bulle, et que dans dix ans on sera dans la même situation, sauf que Gallimard vendra du numérique.

    Au passage, hier, j’ai assisté à un petit débat « Hadopi versus Licence globale », j’ai de quoi alimenter le blog pendant des mois ! #teasing

    1. Jiminy Panoz

      Oui non mais tu as eu raison. C’est l’habitude d’écrire des phrases-choc 😉 Après, on ne va pas révéler tous les secrets des auto-publiés US à succès (me suis tapé l’analyse, d’autres peuvent donc largement le faire aussi ^^), mais si leurs convictions sont guidées par des idéologies, leurs propos sont minutieusement choisis dans une optique un peu différente 😉

      On ne va pas se mentir sur le numérique. J-F reprend les bases (lire un livre numérique, etc), a lancé une collection « comprendre le numérique » et envoie un cybook voyageur à la rencontre de lecteurs / blogueurs et ce n’est pas pour rien. Le numérique, on va aussi devoir l’expliquer (j’ai d’ailleurs rajouté tout une partie « évangélisation » dans mon guide de l’auto-pub en français. Bien que je n’aime pas ce mot, force est de constater que c’est celui qui convient le mieux 🙁 ).
      On en a même discuté avec Tulisquoi hier, et effectivement, on a un gros travail de pédagogie à faire vu que certains lecteurs se voient offrir un Kindle, par exemple, et ne savent pas où trouver des livres numériques…

      Bon, les autres aussi sont passés par là. Et avec Amazon, on aura une boîte qui sait communiquer avec pédagogie (parce que la Fnac, elle merde quand même beaucoup sur ce point en particulier, voir les nombreux fnacbook qui se sentent horriblement seuls sur leurs étals sans qu’aucun vendeur ne sache en faire une présentation sympa aux gens qui regardent la liseuse du coin de l’oeil… bon, en même temps, je comprends le vendeur. La liseuse est tellement de mauvaise qualité que ce n’est pas du tout vendeur d’en faire une démo en live).

  6. Sophie Audouin Mamikonian

    Bonjour !
    Merci pour cet article vraiment intéressant. Je ne mesurais pas, avant de lire ton blog et celui de plusieurs auteurs américains auto publiés, à quel point l’auto publishing était développé aux Etats Unis. D’autant que je viens de signer avec un éditeur américain, du coup, je me demande si j’ai bien fait, j’aurais plutôt dû me publier, surtout vu les pourcentages minables que les éditeurs américains donnent aux auteurs « étrangers ».

    Je souscris à l’ensemble de ce que tu dis, mais la situation est différente en France du fait de deux choses : 1) Le prix unique. Aux states, les grosses maisons type Barnes and Nobles font d’énormes discounts sur les livres, ce qui est interdit en France 2) Le maillage économique. Il y a nettement moins de librairies qu’en France, justement parce que n’ayant pas de prix unique, les petites librairies indépendantes américaines ont disparu depuis longtemps. De plus, le territoire est immense, faire cinquante kilomètres pour acheter un bouquin c’est galère. D’où l’émergence rapide de l’achat par internet.

    Enfin, troisième facteur, les poches. Acheter un livre de poche, un an après la sortie grand format, à 6 ou 7 euros, c’est tout de même une sacrée économie.

    Cependant, je pense que tu as raison, les auteurs souffrent beaucoup des maisons d’édition et, pour n’avoir pas été publiée pendant 17 ans, puis avoir changé de maison d’édition trois fois pour ma série Tara Duncan, j’en suis un exemple flagrant. Il me semble donc logique qu’à terme, les maisons d’édition soient obligées d’évoluer. Mais au point de disparaitre, je n’en suis pas si sûre. Enfin, nous verrons bien, en espérant que le piratage ne nous bouffe pas tous crus, vu la façon dont mes livres sont piratés sur internet, j’avoue que je n’en suis pas si sûre…

    Amicalement
    Sophie Audouin-Mamikonian

  7. Jiminy Panoz

    Génial, que des commentaires intéressants !

    Sophie, effectivement, l’auto-publication en France, ça demande de reprendre ce qui est efficace, de laisser ce qui ne fonctionne pas et d’adapter (aussi bien sur le plan culturel qu’économique ou stratégique). Il y a certaines pratiques qui ont cours aux USA et qui ne nous viendraient pas à l’idée d’utiliser en France vu que l’auteur se ferait littéralement défoncer par les lecteurs, par exemple.
    Le prix unique, j’ai hésité à l’intégrer dans le facteur législatif, tout simplement parce qu’il n’est pas encore en place et que j’attends de voir comment nous pouvons contourner cette limitation.

    Après, auto-publication / contrat d’éditeur, charge à chaque auteur de faire son choix en connaissance de cause. Beaucoup d’auteurs choisissent l’auto-publication parce que leurs bouquins ont été rejetés par des comités de lecture, ce qui est une erreur à mon avis. L’auto-publication, c’est quand même un sacré boulot et il faut être conscient des efforts à fournir au quotidien, de la nécessité d’intégrer toute une dimension marketing à son travail, des maigres retours sur la promo/com’ qu’on peut mettre en place, etc.
    Par exemple, des auteurs auto-publiés à succès n’hésitent pas à signer avec un éditeur. Finalement, l’auto-publication ne leur convient pas pour différents aspects, ce que Amanda Howking a très bien expliqué en annonçant qu’elle signait chez St Martin’s Press pour 2 millions de dollars.
    Autre exemple maintenant, qui est particulièrement savoureux d’autant qu’il est rare : les éditeurs bizarro tels que Raw Dog Screaming Press, Eraserhead Press ou Afterbirth Books (les trois « gros ») ont réussi à découvrir une niche, se l’approprier en se spécialisant là-dedans sans multiplier les sorties pour autant, en faire une promo d’enfer (des critiques du Guardian, c’est quand même quelque chose pour une maison indé) et vendre énormément dans le monde entier. Satan Burger, de Carlton Mellick III, c’est un best-seller. 15 Serial Killers de Jaffe l’est également, et a même été traduit en Français (il s’était déplacé à Paris pour le lancement du livre, et a même transformé son voyage en bouquin, Paris 60). Y’a encore Tom Bradley (devenu « géant parmi les pygmées » avec Lemur) ou Cameron Pierce, Chris Genoa ou D. Harlan Wilson. Remarque quand même importante, Jaffe s’est semble-t-il désolidarisé du mouvement ; il y a quelques mois, j’ai eu le bonheur de l‘« interviewer », et voilà ce qu’il m’a répondu à la question « La contre-culture est très forte aux USA — nous n’avons pas ça en France, vraiment. Comment pouvez-vous expliquer un tel appétit pour les outsiders et les rejetés ? Par exemple, le mouvement bizarro est tellement populaire que des maisons d’édition sont spécialisées dans ce genre. C’est quelque chose qu’il nous est impossible d’imaginer dans l’industrie du livre en France. » : « Je pense que c’est un peu compliqué. Je crois sincèrement que la contre-culture est plus forte en France qu’aux Etats-Unis. Le Bizarro ne compte pas de membres de choix comme Bataille, Artaud, Genet ou Pierre Guyotat. Je dirais que le bizarro profite d’une indulgence envers des formes simplistes d’extrémisme sans commentaire de fond. » Du coup, il a lâché Raw Dog Screaming Press et « s’auto-publie » en papier via Civil Coping Mechanisms. En fait, c’est plus un éditeur qui se spécialise dans l’expérimental mais qui se qualifie comme « Do-It-Yourself Press ».
    Ce genre-là, en auto-publication, il y a des centaines d’auteurs qui n’arrivent absolument pas vendre, voire même être lus quand ils distribuent gratuitement. Du coup, l’éditeur a tout son sens car il permet de trouver des lecteurs, d’être lu et donc de gagner de l’argent. D’ailleurs, des auteurs qui s’auto-publient dans ce genre commencent à monter des Small Press pour en aider d’autres. Là, disons qu’on parle de niche où les éditeurs ont réussi à trouver des lecteurs loyaux qui n’achètent pas sur le nom d’un auteur, mais sur le nom de l’éditeur. Et ça change tout puisqu’intégrer son catalogue permet de trouver à coup sûr des lecteurs intéressés.

    De fait, et même si je n’aime pas sortir ma boule de cristal donc on va plutôt parler de logique du marché, je ne pense pas que l’auto-publication va tuer les éditeurs, je pense simplement qu’il va y avoir un rééquilibrage des forces en présence. Locke, il tient à ses lecteurs loyaux et sait ce qu’ils attendent de lui. Il explique donc que signer avec un éditeur serait une mauvaise idée car son éditeur lui demanderait de changer ça, ça et ça après des retours de lecteurs « non-loyaux ». L’éditeur regarderait la quantité globale qu’il peut vendre, Locke peut se permettre de se concentrer sur la quantité qu’il peut vendre auprès de ces lecteurs-cible.

    Bon, honnêtement, ce que je pense personnellement, c’est que l’auto-publication peut être une solution pour ceux qui savent se débrouiller, que c’est une très belle opportunité pour les auteurs mid-list qui se sentent déconsidérés et que des éditeurs ne manqueront pas de l’utiliser comme un vivier de nouveaux talents à absolument signer. On voit même se créer des Small Press, souvent par des mecs auto-publiés qui ont du succès et qui ont envie d’aider d’autres auteurs dont ils apprécient les bouquins.
    Donc, ce que je crois deviner, c’est que nous allons voir une sorte d’éclatement du système. Les gros éditeurs seront un peu moins gros (à peine), les éditeurs indépendants souvent très spécialisés seront un peu plus rentables, l’auto-publication bien faite restera toujours une alternative (elle doit être un choix, pas une réaction face au rejet). On peut même imaginer, et le précédent Howking est là pour le prouver, un modèle hybride où l’éditeur prend en charge la diffusion papier et l’auteur s’auto-publie lui-même en numérique. Dans cette optique-là, c’est intéressant. Finalement, l’auto-publication est une remise en cause des pratiques en cours dans l’édition traditionnelle et les auteurs reprennent du pouvoir, ce qui va obliger les éditeurs à les considérer à leur juste valeur. C’est, je pense, sur ce point-là que toute la différence va se faire. Les éditeurs qui décideront de choyer l’auteur n’ont presque rien à craindre. Mais ça passe par une réforme de leur système et de leurs us et coutumes.

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  10. martin

    Hello,
    Très bon article. Je viens de télécharger ton Génération Enragée, je suis curieux (Spirit n’est lisible que sur plateforme mac ipad/iphone je crois, dommage mon smartphone tournent sous android).
    En France, un auteur édité à compte d’auteur peut déclarer ses revenus en traitements et salaires, micro-BNC (si moins de 32000 euros par an, avec un abattement de 37% je crois) ou BNC. On ne paye pas d’Urssaf etc. Les cotisations ne sont pas très élevées. Je ne sais pas comment ça se passe aux Etats-Unis, pas sûr que ce soit plus avantageux.
    En revanche oui le statut des auteurs à compte d’auteur et auto-publiés est très injuste. Il reste une bonne nouvelle : le nombre de maisons d’éditions numérique augmente, il sera plus facile à des écrivains qui n’étaient pas lus, pas acceptés par les maisons traditionnelles (je me suis confronté, je vois comment les manuscrits sont choisis et publiés, peu d’auteurs sont publiés par un simple envoie par la poste).
    Un point qui me chiffonne dans ton argumentation : la rengaine sur les charges. Si tu fais moins de 32000 euros par an, tu peux être sous le statut d’auto-entrepreneur, avec peu de charges. C’est pas mal, non ?
    Il reste qu’il y a un problème à faire supporter des charges et impôts proportionnellement plus lourdes à de petites et moyennes structures plutôt qu’aux grosses entreprises (en france comme aux us). C’est ça le scandale. C’est de la politique (mais comme la question de l’auto-publication, finalement). C’est une belle période, pour les bouleversements qu’elle promet.

    1. Jiminy Panoz

      Merci pour ces détails infiniment techniques.

      Pour faire simple, niveau fiscal aux USA, les plateformes déclarent un pourcentage à l’IRS et ça s’arrête quasiment là. Niveau administratif, c’est une feuille à remplir.

      Pour l’abattement de 37% sur les BNC, j’ai un gros doute. En ayant parlé avec quelques calés en fiscalité, le chiffre qui ressort est 10% ou frais réels.

      Pour les charges, j’ai beaucoup de mal à conseiller le statut d’auto-entrepreneur dans le sens où il est excessivement injuste sur le long-terme. Pour m’y être intéressé il y a quelques mois, 3 ou 4 conseillers m’ont fortement orienté sur une proposition plus traditionnelle parce que l’auto-entrepreunariat est une bombe à retardement niveau cotisations sociales et retraites. Grosso modo, c’est peanuts et il vaut mieux cumuler ce statut d’auto-entrepreneur avec un boulot à côté. Pour valider les trimestres de retraite, il vaut mieux se mettre en profession libérale par exemple. Le CA à réaliser est bien moindre. Mais dans ce cas, pas possible d’exercer un métier du public par exemple.
      Pour faire court, on m’a bien fait comprendre qu’il a été lancé à la va-vite pour légaliser le travail au noir d’un côté, et fournir une solution attirante (mais avec des grosses faiblesses) pour ceux qui n’ont pas envie de se prendre la tête sur le plan administratif (en gros, c’est un statut sympa pour les chômeurs).
      Vu les simulations qu’ils se sont amusés à faire, je ne vais pas leur donner tort. Aussi, c’est finalement quelque chose de très restreint qui doit être privilégié dans une certaine logique : une première étape vouée à évoluer vers une SARL ou une EURL par exemple, et qui ne dépasse pas plus de 18 à 24 mois ; après, la personne à énormément à perdre niveau retraite par exemple… ou alors elle parie sur le privé pour sa retraite, à l’américaine en quelque sorte.
      Enfin bref, le statut est loin d’être aussi simple que présenté ici et là. Ça demande une étude approfondie et un choix mûrement réfléchi. Disons qu’un états-unien ou un canadien n’ont pas à penser à ces choses-là. C’est aussi la raison pour laquelle la partie « Statuts et Fiscalité » du guide de l’auto-publication se limite à « Consultez des spécialistes ». C’est une réflexion individuelle à faire et on ne peut pas généraliser le propos. 😉

      Sinon, pour Spirit of ‘76, il est bel et bien compatible, mais compatible à minima. En gros, il tourne sur ma liseuse Sony mais il n’y a évidemment pas le contenu enrichi et le « code avancé » est rendu bizarrement à l’écran.
      Nous sommes en train de trouver une solution néanmoins. Et Kindle supporte d’ores et déjà le contenu enrichi (les « Kindle apps » pour le moment, mais bientôt les tablettes) avec un support qui se limite au strict minimum. Pas de boulot supplémentaire, ils ont réussi à assurer la conversion de façon quasi transparente (nous avons pu jeter un oeil sur les guidelines).

      1. martin

        alors alors…
        L’abattement est de 34 % (pas 37 comme je l’écrivais) en micro-BNC.
        (http://www.sgdl.org/juridique/la-fiscalite)
        10 % c’est en « traitement et salaires ». (BNC c’est recettes-dépenses qui donnent le revenu imposable).
        Pour le statut d’auto-entrepreneur, je n’en sais que ce que m’en dit ma copine qui est sous ce statut, et effectivement niveau retraite ça ne donne pas grand chose. Mais sinon ça va plutôt (bon il faut juste faire attention de ne pas dépasser la limite des revenus).
        Mais au final comme j’appartiens à une génération de gens qui ont eu essentiellement des petites boulots, qui à plus de 30-35 ans n’ont toujours pas de jobs correctement payé : nous n’aurons pas de retraite. Et vu comme le système est en train d’être détricoté… Autant le savoir et prévoir les choses, s’organiser.
        cool pour Spirit.

  11. Jiminy Panoz

    Ben, disons que c’est un sacré bordel. Rien qu’à voir le tableau, on se rend compte qu’en micro-BNC, pas d’étalement des impôts (peut-être pour ça que les « spécialistes » ne l’envisagent pas, cet étalement pouvant être très utile à un écrivain qui n’a pas des rentrées régulières) + renoncer au régime de la retenue de TVA. :-/
    Par ailleurs, j’ai entendu 3 ou 4 fois la phrase-type : « Comme pour un auteur édité donc avec traitements de salaires, un auteur à son compte ou à compte d’auteur peut appliquer un abattement de 10% ou éventuellement frais réel avec BNC. »
    Bon, ça venait autant de gens bossant au centre des impôts que de comptables / fiscalistes indépendants. Faut croire que les choses ne sont pas très claires même pour eux du coup, vu que ça n’apparaît pas dans le tableau récap de ton lien.
    J’avoue que je ne suis pas à même d’en discuter plus en détail parce que 1) je n’ai pas la doc sous la main et 2) je n’ai peut-être pas les compétences pour interpréter au plus exact. Mais ces points de détails qui différent me laissent pas mal perplexe.
    Et c’est sans compter sur l’AGESSA (Sécurité Sociale des Auteurs) qui peut encore se rajouter dessus sous certains statuts. Au final, ça fait beaucoup de temps gaspillé pour des problématiques administratives… et des auteurs qui ne publient pas parce que l’environnement légal et fiscal est beaucoup trop complexe de prime abord pour le commun des mortels. D’autant plus qu’on sait pertinemment que 95% des auteurs n’arrivent pas gagner leur vie avec leurs livres et qu’ils n’atteindront pas les minimas pour retraite et AGESSA…
    En fait, c’est assez simple, il y a environ 70 000 livres publiés chaque année en France et 360 auteurs qui en vivent réellement. Du coup, je pense que ces chiffres permettent de comprendre que le système en place est potentiellement inadapté (disons plutôt mal adapté) pour pas mal d’autres. Du coup, il y en a beaucoup qui bossent à côté et donc le livre est un revenu complémentaire, d’où ma « conclusion logique » qui m’amène à penser que dans ce cas, les « spécialistes » entendent BNC comme micro-BNC pour ces auteurs-là. Ainsi, pas d’AGESSA, etc. Je dois avouer que je me suis plus inquiété pour le cas où l’auteur est travailleur indépendant, cas pour lequel il semble que le régime BNC est appliqué quasi automatiquement (alors que défini apparemment comme une option sous 27.000€). C’est peut-être sur ce point particulier qu’on arrive pas se retrouver. Aussi, merci pour les détails d’importance sur l’abattement à 34% vu que tout le monde parle de 10% ou frais réels. Je vais tâcher de voir ce qui en ressort.

    Pour la retraite, parole très sage. Beaucoup s’en préoccupent bien trop tard. 😉

    1. martin

      Oui c’est un sacré bordel, à tel point que la plupart du temps, aux impôts, comme les comptables sont perdus.

      - en fait si, on peut déclarer sur plusieurs années, c’est prévu par l’article 100 bis du code des impôts (sauf si on déclare en micro bnc), sur la moyenne de trois ou cinq ans.
      - on peut renoncer au régime de la retenue de tva.
      (pas de micro bnc si régime de la retenir de la la tva)

      Entre les romanciers, les auteurs jeunesse, les dessinateurs bd et les illustrateurs jeunesse, à mon avis il y a pas mal de monde à vivre de ses livres, mais il est vrai complété par des interventions scolaires, des ateliers…
      Et que le système soit plus simple, oui ça serait pas mal !

      « Comme pour un auteur édité donc avec traitements de salaires, un auteur à son compte ou à compte d’auteur peut appliquer un abattement de 10% ou éventuellement frais réel avec BNC. »
      Sans doute. Je ne connais pas le cas du compte d’auteur. Mon lien porte sur les auteurs édités à compte d’éditeur.

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