J’en ai un peu marre, voyez-vous, un peu marre de voir les gens sans cesse opposer papier et numérique.
On a l’impression que si le numérique existe, c’est parce qu’il veut « bouffer du papier. »
Les revendeurs d’e-books opposent le format numérique au support papier pour en vanter les avantages quand les vieux de la vieille proclament qu’ils ne lâcheront ô grand jamais le papier : c’est trop romantique de sentir le livre, le caresser, voir son encre teinter notre peau (voire le brûler parce qu’il est vraiment trop mauvais).
Choisissez votre camp !
- Allez-vous supporter les petits libraires de quartier qui conseillent amoureusement le client sur les dernières perles qu’il est allé pêché ce matin-même dans sa réserve ?
- Allez-vous supporter le grand méchant Satan qui vend du livre numérique au giga-octet, vient d’Amérique, veut écraser la concurrence pour créer un oligopole des plus rémunérateurs ?
Et si l’on y ajoutait quelques questions, dans cette opposition ?
- Allez-vous vraiment passer à côté de la dimension complémentaire des deux « supports » ?
- Allez-vous donner leur chance à des œuvres qui ne sortiront jamais en papier ?
- Souhaitez-vous vous émanciper des lignes éditoriales traditionnelles ?
- Allez-vous attendre des années que les livres que vous voulez consommer en numérique arrivent sur les étals ?
- Voulez-vous redonner une place de choix au livre dans vos loisirs… surtout vous, au fond, qui avouez lire de moins en moins ?
Complémentarité, maître mot de la richesse culturelle.
Pourquoi opposer deux supports qui peuvent parfaitement se compléter ?
Bien sûr, l’e-book offre des avantages sur le livre papier et les revendeurs jouent sur cette corde sensible (n’allez pas chercher votre accordeur, c’est un Si Majeur).
C’est un piège dans lequel il ne faut pas poser le pied (au risque de l’entendre comme un bémol).
Certains avantages présentés sont certains et vendeurs : bibliothèque complète dans la poche, prise de note qui n’abîme pas votre beau livre, possibilité d’acheter n’importe où et n’importe quand, et cætera.
Mais, le numérique offre des avantages majeurs pourtant autres, notamment d’un point de vue culturel (et non plus pratique) et de diversité.
Oui, le numérique permet d’élargir l’offre.
Pensez à ces auteurs de niche qui ne seront jamais publiés. Pensez à ces dissidents qui y trouvent la liberté d’expression. Pensez à ces livres épuisés qui ne seront jamais ré-imprimés mais que le numérique permettra de dupliquer à l’infini et d’en assurer la survie. Pensez à ces auteurs reconnus qui publient d’ores et déjà, en numérique, les manuscrits que leur maison d’édition n’a pas trouvé bon de publier. Pensez à tout cela, pensez à la richesse inouïe que l’on peut potentiellement bâtir à partir d’un 1 et d’un 0.
Oui, le numérique permet au livre de regagner une place au premier rang de vos loisirs.
Plus besoin de penser à prendre son livre dans son sac. Plus besoin de faire son choix. Dans votre smartphone, des dizaines de livres, nouvelles ou guides. Votre smartphone si onéreux, vous ne l’oublierez pas.
Dans le métro, dans la voiture, dans l’avion, sur un banc dans la rue, au centre commercial, à l’hôtel, où vous voulez. Le livre numérique qui se trouve dans votre smartphone ou sur votre tablette est à disposition quasi-totale. Autrement dit, vous disposez du pouvoir de lire là où vous ne l’auriez pas envisagé auparavant. Pensez aux fois où vous vous êtes dit « mince, si j’avais su, j’aurais pris un livre… »
Vous avez 5 minutes devant vous ? Pourquoi ne pas lire un chapitre d’un e-book plutôt que d’envoyer quelques messages futiles à vos amis qui n’osent pas vous dire que vous êtes un gros lourd ? — Ça fait trois fois que vous leur envoyez la vidéo du singe en train de se mettre le doigt dans le nez cette semaine.
Cerise sur le gâteau, des éditeurs ont mis en place des collections spécifiquement dédiés à la lecture sur le pouce (merci à ceux qui se reconnaitront de me contacter pour leur encart de pub gratuite).
Oui, le numérique offre enfin la diversité que les lecteurs n’osent même plus réclamer.
Tout le papier du monde n’y suffirait pas. Le numérique permet de ramener ces livres oubliés dans les recoins du monde entier, quelque soit leur langue, leur poids ou leur sujet.
Les éditeurs indépendants, et auteurs auto-publiés, souffrent malheureusement d’un a-priori destructeur. Ils ne proposent que du second-choix voire, dans le pire des cas, de la merde.
Or, il arrive que les maisons traditionnelles publient de la merde aussi.
Et il arrive aussi que d’excellents livres ne rentrent pas dans les lignes éditoriales des maisons que l’auteur a contactées, qu’un très bon livre « ne vaille pas la peine d’être publié car il n’intéressera pas grand-monde » ou qu’un livre génial propose un sujet beaucoup trop ciblé, très difficile à marketer de surcroit.
Le lecteur se voit offrir une chance de découvrir ces livres-là, à grande échelle pour bien faire les choses. Soyons honnêtes, dans un système 100% papier, il serait certainement passé à côté.
Oui, le numérique permet de créer une nouvelle race de livre.
Pensez livre enrichi.
Pensez à ces éditeurs qui offrent des expériences de lectures alternatives.
Pensez à ces auteurs fous qui se jettent corps et âme dans des projets qui repoussent les limites traditionnelles de la narration.
Des labos artistiques menés par des grands tarés ont enfin la possibilité de proposer leurs travaux au grand public.
NB : N’allons pas nous mentir, ce paragraphe est évidemment le plus important de mon billet puisqu’il fait référence directe à mon fond de commerce. Ne vous inquiétez pas, Spirit of ‘76 arrive. Fin de la page de réclame, retour au programme en cours.
Le mot de la fin
Est-ce un mal de prendre un éditeur numérique pure-player en flagrant délit de lecture papier ? (Julien Simon, arrêtez-donc de tweeter des photos de vos lectures papier du soir, c’est inacceptable !)
La réponse est bien évidemment négative.
Le livre numérique n’a pas à vocation d’anéantir le livre papier.
Le livre numérique a surtout la possibilité de venir le compléter pour renforcer les faiblesses de l’écosystème de la littérature.
Disponibilité mondiale et totale, nouveaux types de livres, expérimentations farfelues, nouveaux talents qui vous parlent (parce qu’ils sont de votre génération et que des « pros » ne voient pas l’intérêt de les publier étant donné que la citadine de 35 ans ne le lira pas), diversité réelle, sauvetage de livres en train de mourir, œuvres « autres », livres inédits de vos auteurs préférés, etc. Autant de possibles dont nous rêvions depuis longtemps et qui se matérialisent enfin…
Quand deux adversaires se battent, n’oubliez pas qu’ils le font pour leur discipline avant tout, parce qu’ils ont un amour sincère pour cette dernière.
Quand numérique et papier s’opposent, n’oubliez pas qu’ils le font pour le bien de la culture et de la Littérature avant tout.
Pour les amoureux des livres, la guerre des contenants n’a aucun intérêt. Ce qui compte, et qui a toujours compté, est le contenu.
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