Amazon vient de lancer Kindle Previewer 3 en version bêta afin que nous puissions prévisualiser nos livres Kindle dans le nouveau format du revendeur, KFX.
Ce logiciel est disponible sur cette page. Profitez-en pour télécharger le sample qui se trouve dans la FAQ, ce fichier listant en effet les fonctionnalités de la « Composition améliorée » mise en place avec le format KFX.
Dans la mesure où les fichiers KFX sont générés sur les serveurs Amazon et que tomber sur l’un d’entre-eux relève de la loterie – on balance le fichier à l’aveugle en faisant une prière pour que tout passe correctement –, la sortie de cet outil de prévisualisation est bienvenu – son poids qui dépasse les 700 mo un peu moins.
Remarque à l’installation de Kindle Previewer 3
Amazon recommande de conserver la précédente version 2.94 afin de pouvoir continuer à prévisualiser vos livres dans le format KF8.
La version 3 beta n’écrase pas la précédente, il est donc inutile de renommer cette dernière, d’autant que cela a créé un bug chez moi (« composition améliorée » non supportée pour tous mes fichiers test).
KFX, quésaco ?
KFX est le format qui remplace KF8, il se cache de fait derrière cette fameuse fonctionnalité « composition améliorée » lancée en grande pompe il y a quelques mois.
Il est très difficile d’obtenir des informations techniques fiables à son propos, et ce même si certains ont commencé à l’étudier. Néanmoins, les premières découvertes laissent à penser que KFX différe très largement des formats basés sur mobi (mobi6, mobi7 et KF8) ; il se rapprocherait plutôt de ce que nous connaissons sous le nom d’AZK (le format de prévisualisation pour Kindle sur iOS).
Dans les grandes lignes, nous pouvons dire que :
- tout est JSON chiffré sauf les images, y compris pour les ouvrages sans DRM ;
- les images sont préparées pour l’appareil sur lequel le fichier est envoyé (elles sont converties en niveau de gris pour les liseuses eInk par exemple) ;
- il semblerait que les césures soient ajoutées directement dans le texte à l’aide de
­
; - la transparence des images n’est plus du tout supportée (le support sera ajouté à terme).
Contrairement à ce qui a été dit ici et là, les espaces insécables ne sont pas considérées comme des espaces simples – j’y reviendrai.
Un tout nouveau Kindle Previewer 3
Cette nouvelle version rompt totalement avec la précédente, au point où elle en corrige même certains bugs gênants – pensez à la fenêtre qui ne s’adapte pas à la taille de l’écran et qu’il faut scroller.
Nous avons désormais une fenêtre ressemblant à l’appareil sélectionné pour la prévisualisation accompagnée d’un inspecteur.
Cet inspecteur comporte 3 onglets :
- appareil ;
- table des matières ;
- recherche.
Nous pourrons par ailleurs remarquer la présence de modules d’extension (pour l’instant inactifs) dans ce dernier onglet.
Convertir un fichier ePub dans le format Mobi se fait toujours de la même façon : il suffit de le glisser sur la fenêtre de l’application.
Néanmoins, deux choses me dérangent un peu :
- il n’est plus possible d’accéder au log de conversion lorsqu’elle se déroule, on ne peut y accéder qu’une fois celle-ci terminée ;
- Kindle Previewer 3 exporte désormais les fichiers dans le dossier « My Kindle Books » et non plus dans le dossier où se trouve le fichier source ePub.
Cela n’a l’air de rien mais quand on manipule beaucoup de fichiers dans un cadre professionnel, on peut y perdre pas mal de temps, d’autant que les performances de cette nouvelle version sont en berne… et ce même sur du matériel neuf.
En outre, certaines fonctionnalités utiles sont à aller chercher dans les menus et pas dans l’inspecteur. C’est notamment le cas pour le « mode couleur » (couleur de fond), l’activation des deux colonnes en mode « paysage » ou les informations du livre (ses métadonnées).
Or, c’est dans ce panneau d’informations que nous pourrons voir si la « composition améliorée » est prise en charge pour le livre testé. Cette fonctionnalité étant l’intérêt principal de cette nouvelle version, j’aurais préféré que cela soit directement indiqué dans le panneau de conversion. Ça me parait logique en tout cas.
Du côté du positif, il est désormais possible de prévisualiser sur Kindle iOS sans en passer par la conversion au format AZK et la synchronisation via iTunes – mais uniquement si la « composition améliorée » est supportée.
Enfin, le menu « navigation » cache un outil extrêmement pratique pour les livres contenant beaucoup d’images : le raccourci vers l’image précédente ou suivante. Cela permettra de se concentrer sur leur rendu, d’autant qu’elles sont automatiquement (re)converties en JPEG pour KFX.
Une beta encore (un peu trop) limitée
Si la raison dicte de ne pas considérer une beta publique comme une version parfaitement finalisée, certains manques se révèlent tout de même fort regrettables.
Ainsi, il n’est pas possible de prévisualiser le rendu « liseuse eInk » pour le moment ; seuls les rendus Fire et iOS sont disponibles.
De plus, il ne vous sera pas non plus possible de switcher de KFX à KF8 ou à Mobi7, raison pour laquelle Amazon conseille de continuer à utiliser Kindle Previewer 2.94. Cela est dommage puisque le logiciel est capable de gérer le rendu KF8 pour les livres qui ne peuvent bénéficier de la « composition améliorée ». Espérons qu’un switch vienne s’ajouter dans une prochaine mise à jour.
Oubliez également les réglages utilisateurs disponibles sur les solutions de lecture de la marque, seuls les basiques sont pour le moment proposés. Cela ayant toujours été le cas pour Kindle Previewer, je ne m’attends toutefois pas à ce que ces réglages avancés soient disponibles à terme.
Enfin, tableaux et formules mathématiques ne seront pas prévisualisables puisque pas encore supportés.
La composition améliorée
Si Amazon mise absolument tout sur Bookerly, les césures et les lettrines dans sa communication, le fichier sample permet de découvrir d’autres fonctionnalités de « composition améliorée ».
En effet, une meilleure gestion des images vient accompagner la composition : images « inline » se redimensionnent mieux avec le texte alentour et images flottantes deviennent images « block » lorsque l’utilisateur augmente la taille de police au-delà d’un certain point, ce qui améliore la lisibilité.
Une autre fonctionnalité est à souligner : la gestion du contraste entre le texte et le fond. Amazon met ici en pratique une recommandation du W3C et assure donc un contraste minimum de 4.5:1. Là encore, la lisibilité – et l’accessibilité par la même occasion – est améliorée.
En tant que lecteur, cette fonctionnalité est bienvenue dans le sens où elle garantit une certaine expérience de lecture ; en tant que designer, par contre, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elle prouve une nouvelle fois l’état lamentable de la production de livres numériques.1
Bref, les revendeurs continuent à rattraper le coup jusqu’au jour où ils ne pourront plus. Pendant ce temps, l’expérience de lecture ne s’améliore pas beaucoup et les utilisateurs morflent.
Premier test de Kindle Previewer 3
J’ai pu convertir avec succès quelques livres dans le format KFX, donc avoir accès à la « composition améliorée ». De fait, les seuls ouvrages test qui n’ont pas voulu passer étaient des exports InDesign non retouchés.
Aucune surprise à attendre : on obtient bien des lettrines correctement alignées, des césures plutôt correctes et une composition globale améliorée par rapport à ce que les anciens formats proposaient (espaces énormes entre les mots par exemple).
D’un point de vue technique, je devine que le convertisseur KFX va chercher un span
en début de paragraphe pour les lettrines – et éventuellement chercher les styles de la classe du span
pour s’assurer que c’est bien une lettrine. Quant à la mise en œuvre côté CSS, je serais curieux de savoir si KFX utilise la propriété initial-letter
qu’iBooks supporte depuis la dernière version. Cette lettrine améliorée disparaît une fois qu’une taille de police critique est atteinte.
À noter que le convertisseur respecte les indications pour les césures. Aussi, si vous les désactivez pour les titres, les paragraphes ou même le corps du document, cela sera respecté.
De même pour l’alignement, la justification n’étant pas forcée à tout prix. On pourra d’ailleurs remarquer que quand on augmente la taille de caractères au-delà d’un certain point, le texte justifié est automatiquement aligné à gauche.
Une amélioration modulaire
À en croire Kindle Previewer 3, il est donc tout à fait possible de bénéficier de la composition améliorée sans que lettrines et césures ne soient forcées pour le livre. Le convertisseur KFX se borne à améliorer ce qu’il trouve dans le fichier d’origine et c’est très bien, une lettrine mal employée pouvant compromettre la lisibilité de certains ouvrages.
Nous pouvons ainsi jouir d’une certaine modularité, ce qui n’était pas une conclusion si évidente lors de l’annonce de cette nouvelle fonctionnalité. Au-delà, il faut reconnaître que certaines améliorations sont astucieuses et améliorent réellement la lisibilité (adaptations par rapport à la taille de caractères, gestion des images et du contraste).
Amazon a franchement avancé sur la composition, un point sur lequel on ne l’attendait plus, et même si le système n’a pas dû être aussi facile à mettre en place techniquement, espérons que certains concurrents cherchent à s’en inspirer.
Pour les polices intégrées, la situation est un peu plus vague. Certaines semblent désactivées quand d’autres apparaissent bien dans l’aperçu. Cela n’a rien à voir avec leur format (OTF pouvant historiquement poser quelques soucis avec KindleGen) et paraît aléatoire : elles ont en effet été enlevées puis conservées pour un même fichier.
Enfin, en ce qui concerne les insécables, quelques retours laissaient à penser qu’elles n’étaient pas supportées, ce que je peux désormais démentir.
En effet, ceux-ci sont parfaitement pris en compte pour peu que l’entité HTML (
ou  
) soit utilisée. L’utilisation du « vrai » caractère pose par contre problème : il n’est pas pris en compte, rendant toutes les insécables sécables.
Et vu le nombre de fichiers utilisant le vrai caractère et pas l’entité2 que je vois passer depuis des mois – industrialisation bis repetita3 –, attendez-vous à une composition bien dégueulasse à base de signes doubles en début de ligne pour un nombre conséquent d’ouvrages.
Pour les curieux qui voudraient analyser les entrailles du fichier KFX, sachez que celui-ci ne se retrouve pas dans le fichier Mobi généré. Dans la FAQ, Amazon indique d’ailleurs qu’il n’est pas possible de leur fournir ce fichier, ce qui laisse imaginer qu’ils le gèrent entièrement de leur côté. Je devine qu’il est généré à la volée et mis en cache pour la prévisualisation locale, le même fichier étant systématiquement reconverti après chaque fermeture de l’application.
Le mot de la fin
Industrialisation.
Il est difficile de ne pas concevoir KFX comme le degré ultime de l’override (remplacement local effectué à la volée pour améliorer l’expérience de lecture des fichiers mal faits). Si certains comme Apple s’en tiennent aux scripts à l’ouverture des fichiers, l’approche choisie par Amazon n’est pas sans rappeler celle déjà mise en pratique par Kobo avec KePub.
Des revendeurs majeurs qui automatisent l’édition/la correction de fichiers dans le but de garantir une expérience suffisante à leurs clients, nous connaissions déjà. Le format dédié pour ce faire, c’est un niveau encore supérieur, on peut raisonnablement parler d’industrialisation à mes yeux.
Loin de moi l’idée d’en rajouter une couche mais cela ne pousse vraiment pas à l’optimisme. On parle quand même de trucs de base comme le contraste du texte… Et je ne suis pas loin de plaindre les développeurs des solutions de lecture, leur travail étant probablement un cauchemar au quotidien. Ni plus, ni moins.
Inutile également de souligner à quel point je trouve ce « rattrapage » malsain. Si je peux tout à fait comprendre une volonté d’améliorer les fichiers dans le but (direct ou indirect) de minimiser le SAV, force est de constater que cela ne pousse pas non plus les acteurs de l’écosystème à faire les choses correctement. On ne fait en réalité que les déresponsabiliser. En attendant, la dette technique grossit de manière exponentielle depuis des années et on peut craindre qu’elle ne finisse par faire imploser le système – et si cela arrive, certains n’hésiteront pas à jeter le bébé avec l’eau du bain.
D’une certaine manière, j’espère que KFX permettra une prise de conscience. Nous connaissons tous l’état actuel de la production eBook, des utilisateurs gueulent fort pour essayer de nous le faire comprendre, nous préférons nous boucher les oreilles et continuer comme si de rien n’était. Eh bien voilà, à force de ne rien changer, ce sont les revendeurs qui prennent les choses en main et ils se sont tournés vers l’option nucléaire.
Personnellement, je trouve que c’est mérité. Vous excuserez ce langage familier mais tant que l’on portera majoritairement notre attention sur ceux qui se pavanent en faisant de la merde à côté4, on ne pourra pas avancer collectivement. Et pendant ce temps, de plus en plus de gens très talentueux et compétents5 vont voir ailleurs, là où l’herbe n’est pas totalement brûlée. C’est un constat, c’est également un ras-le-bol.
Il serait peut-être temps de réagir, les gars. À force de tirer sur la corde, elle va finir par céder.
Post Scriptum
Malgré ce que certains pourraient penser à la lecture de cet article, je n’ai rien contre l’industrialisation en tant que telle. Ce processus est de toute manière naturel et logique eu égard au catalogue à convertir.
Il est par ailleurs tout à fait possible d’industrialiser tout en visant la qualité, c’est simplement et uniquement une question de volonté : en faire un objectif principal, aller chercher les compétences et l’expertise, etc.
Enfin, il n’est même pas question de combat entre David et Goliath. Le petit David, s’il ne maîtrise pas son sujet, est capable de faire beaucoup moins bien que le système automatisé avec le plus grand soin par Goliath. Que l’on ne s’y trompe pas en voulant tourner la problématique en débat manichéen.
Il y a simplement que quand certains industrialisent à très bas coût pour s’accaparer le marché, d’autres automatisent pour rattraper leurs bêtises. Ceci devrait nous faire réfléchir, cela devrait même nous préoccuper.
- Industrialisation, toujours les mêmes. Serait peut-être temps d’embaucher des personnes compétentes les gars, ça commence à se voir là… On pourrait également discuter des exports logiciels dont certains gagneraient honnêtement à ce qu’un spécialiste ePub amène son expertise lors du développement. ↩
- Ce qui est par ailleurs bien indiqué comme à ne pas faire dans les directives de publication. ↩
- Toujours les mêmes, qui ne lisent donc pas les directives de publication, ça n’étonnera personne. ↩
- Il y a heureusement des exceptions, je sais qu’ils se reconnaitront. Si je me permets de dire cela, c’est parce qu’on me demande assez souvent de repasser derrière et, oui, « faire de la merde » est sincérement l’expression la plus fidèle pour témoigner de ce que je vois. ↩
- Ils se reconnaitront également. ↩