Lancé en janvier 2012, le format iBooks a su se faire une place dans nos esprits… mais pas forcément dans notre quotidien.
On sait bien que des livres ont été publiés dans ce format, on voit aussi que certains l’utilisent et, pourtant, on nous demande très rarement d’en faire — il faut dire que la limitation à l’écosystème Apple n’aide pas vraiment.
Bref, nous savons tous ce dont il est capable — le meilleur comme le pire — mais force est de constater que 3 ans seulement après son lancement, il semble davantage subsister que s’exprimer à son plein potentiel.
Ce billet n’a pas pour objectif de trouver des solutions pour booster son utilisation, il ne vise pas non plus à lister ses problèmes, il se propose simplement d’y réfléchir un peu et de lui trouver des utilités.
La vision d’origine
Au départ, le format iBooks se voulait simplement un outil à l’usage du monde de l’éducation, soit des éditeurs de manuels scolaires et des professeurs soucieux de proposer des supports à leurs élèves.
De ce point de vue, nous ne pouvons pas affirmer qu’iBooks est un « échec » : il remplit plutôt correctement sa fonction dans la vision très nord-américaine de l’éducation , à savoir une offre matérielle accompagnée d’une offre logicielle/contenus dédiée.
On pourra discuter du succès à ce niveau-là mais ce qui oriente très certainement notre jugement extérieur, ce sont les détournements qui en ont été faits et qui ont pu nous laisser penser que ce format se voulait plus « grand public ».
- Des créatifs l’ont utilisé pour leur book numérique.
- Des dessinateurs l’ont utilisé pour leur bande dessinée.
- Des photographes l’ont utilisé pour leur album photo.
- Des auteurs ou éditeurs indépendants l’ont utilisé pour leur ouvrage de non-fiction (interactif ou non).
- Des musées l’ont utilisé pour leur catalogue.
- Des studios de cinéma l’ont utilisé pour leurs beaux livres.
Et nous avons peu à peu oublié qu’Apple le destinait principalement à l’éducation.
Or, ne serait-il pas plutôt positif que certains y aient vu un outil utile en dehors de ce marché ?
… Et je ne dis pas ça pour prendre la défense du format, cela me semble juste être logique.
In limbo
Seulement, voilà…
L’application iBooks Author est très rarement mise à jour et semble en outre souffrir de bogues assez gênants, ce qui n’envoie pas un message franchement positif aux utilisateurs et autres observateurs du monde de l’édition.
Certes, il est désormais possible d’importer un fichier IDML (InDesign) ou un fichier ePub.
Certes, il semblerait qu’Apple soit sur le point de répondre à la demande de compatibilité iPhone — ça fait au moins 2 ans qu’on en entend parler.
Certes, les ouvrages publiés dans ce format sont toujours — en quelque sorte et pour diverses raisons — mis en avant sur l’iBookStore.
Certes, Apple a racheté PRSS, une plateforme de magazines numériques, fin 2014 — mais, contrairement à ce que l’on pourrait logiquement en penser, cette acquisition n’a peut-être absolument rien à voir avec iBooks Author.
Mais nous restons dans le flou, nous ne savons pas ce qu’il va en advenir, ce qui, pour être honnête, n’invite pas vraiment à parier dessus pour un projet… d’autant plus que les chiffres de ventes entendus ici ou là ne sont pas mirobolants.
Donc… que pourrions-nous en faire d’autre ?
Terrain de jeu
Il y a quelques mois sur Twitter, j’ébauchais l’idée qu’iBooks Author (le logiciel) pouvait être un outil particulièrement adapté à l’enseignement du design éditorial.
Plusieurs caractéristiques me le font penser :
- le format est « borné » puisque seulement quelques appareils le supportent, ce qui permet de ne pas se perdre directement dans la conception adaptative pour x appareils et de mettre l’accent sur la lisibilité, les spécificités de la composition sur écran, etc. ;
- il propose aussi bien le reflowable text que le fixed-layout, ce qui permet d’en expliquer les différences et d’en présenter les approches spécifiques de conception ;
- il fonctionne sur le modèle de templates, ce qui permet d’aborder la conception de maquettes ;
- on peut le détourner assez facilement, y compris en créant des widgets à l’aide d’iAd Producer par exemple ;
- il invite à l’interaction, ce qui pousse à réfléchir à la valeur des « enrichissements » que l’on serait tenté d’amener au matériau d’origine ;
- il est suffisamment simple d’utilisation et ne demande pas à ce que l’on « code » pour obtenir ce que l’on souhaite ;
- il comprend un système de secours, à savoir l’export PDF non-interactif, ce qui permet d’introduire le concept d’amélioration progressive.
En d’autres termes, c’est une solution logicielle qui pourrait nous permettre de nous concentrer sur le design éditorial numérique.
Revenons sur les 5 premiers points pour les expliciter…
1. Un format borné
Ça n’a l’air de rien mais la compatibilité limitée permet de travailler tout ce qui est du domaine de la composition pour l’écran sans se compliquer la vie dans un premier temps : grilles, typographie, rythme, contraste, etc.
Et puis, cela permet également de concevoir en fonction d’usages et de pratiques, d’entamer une réflexion sur l’expérience utilisateur : poids du fichier, ajouts et enrichissements, choix de la gestuelle ou du tap pour les interactions, etc.
2. Reflow/fixed
Il suffit de changer l’orientation de l’écran (avec les modèles classiques) pour passer d’un mode à l’autre et de commencer à en saisir les différences conceptuelles.
Dans la mesure où nous pouvons constater que ces différences ne sont pas forcément si aisées à expliquer ou à comprendre, iBooks peut ici servir d’illustration puis de canevas dans lequel pratiquer.
3. Templates
Croyez-moi, c’est une sorte de bénédiction.
Le fonctionnement par maquette permet d’en présenter les vertus : cohérence, rythme, contraste, modularité, gain de temps… C’est quelque chose d’hyper important, a fortiori parce que l’absence de maquette dans les logiciels P.A.O. peut compliquer la conversion numérique d’un livre imprimé — de quoi bien préparer à la vie professionnelle.
4. Détournement
iBooks Author invite à un mode de fonctionnement (donc de navigation et d’utilisation) par défaut. Charge au concepteur de l’épouser, d’en suivre quelques grandes lignes ou de totalement le contourner.
Ce mode de fonctionnement par défaut est très rarement remis en question pour les livres publiés, ce qui peut avoir des conséquences assez malheureuses pour certains projets puisque l’on cherche alors à les forcer dans iBooks Author, à justifier l’usage du format quitte à en faire beaucoup trop.
Alors pourquoi pas analyser ces projets et voir ce qui peut en ressortir ? Je pense notamment aux conceptions pensées « outside of the box » ou aux widgets spécifiquement créés pour apporter des solutions à des problèmes précis.
5. Interactivité
L’utilisateur d’iBooks Author, au moins dans un premier temps, ressent l’irreprescible envie d’ajouter toutes sortes de widgets.
Ils sont en effet très visibles, il suffit de les glisser/déposer sur la page, on en viendrait presque à chercher des matériaux pour pouvoir les utiliser.
Et si nous concevions l’exercice comme un refus de la facilité ?
L’idée, c’est d’apprendre ce que les interactions peuvent réellement apporter, de comprendre leurs impacts positifs et négatifs. Et pour ce faire, il n’y a pas 36 solutions, il faudra réaliser des tests utilisateurs.
En d’autres termes, nous allons observer ces utilisateurs pour prendre note de leurs ressentis, puis analyser leurs utilisations pour essayer de comprendre ce que les enrichissement peuvent apporter d’utile ou retirer au niveau fonctionnel.
On pourra ensuite retravailler le projet, en sachant ce qui peut éventuellement inviter l’utilisateur à la lecture de quelque chose, lui faciliter la compréhension d’une autre chose ou l’obliger à une pause, par exemple.
Nous nous retrouvons là dans le domaine de l’expérience de lecture (Reading eXperience) et cela permettra de poser des limites, de déterminer les vraies contraintes et de pousser vers une certaine maîtrise de soi — et une maîtrise éditoriale, bien évidemment.
Hack iba
Et pour ceux qui n’utiliseraient pas du tout iBooks Author ?
Il me semble que l’outil pourrait être détourné pour réaliser des prototypes de livres numériques.
Nous avons une idée, nous voulons voir ce qu’elle peut donner en la testant (et en la faisant tester), nous ouvrons iBooks Author, nous créons un prototype et quelques heures plus tard, nous pouvons obtenir des retours pour voir si notre idée tient vraiment la route.
À considérer que le format sera effectivement compatible avec l’iPhone très bientôt, il pourra couvrir 3 des formats « majeurs » d’appareils de lecture : le smartphone, la tablette et l’ordinateur — mais pas la liseuse.
Bien sûr, nous attendrons de voir comment cette compatibilité iPhone se traduit dans les faits… elle pourrait très bien limiter le potentiel de prototypage d’iBA.
Si l’on y regarde bien, certains détournent déjà le logiciel Keynote pour prototyper des apps iOS. Peut-être qu’iBooks Author serait plus avisé dans le cadre d’apps ayant à gérer beaucoup de contenu texte ?
Et n’oublions pas qu’iBooks Author permet d’importer des présentations Keynote comme widgets, ce qui peut être un avantage supplémentaire — au passage, Hype peut être une autre solution puisqu’il permet d’exporter directement des widgets iba.
Dans le cas de « contenus livre », iBooks Author permettra même de placer le prototype directement dans l’app qui sera réellement utilisée par le lecteur, ce qui n’est pas à négliger.
Autrement dit, le format iBooks peut également être considéré comme une esquisse voire un conteneur d’idées que l’on peut rapidement remplir et distribuer.
Conclusion
À mon sens, le format iBooks pourrait être un excellent outil pour former au design éditorial numérique, en poser les principes, en expliquer les approches de conception, mettre l’accent sur le fonctionnement et la navigation, expliquer les détails qui font une expérience d’utilisation ou de lecture, etc.
Il me semble que nous pourrions l’utiliser pour pousser vers une vraie réflexion d’enrichissement éditorial et d’expérience de lecture.
Le fait est que nous sommes souvent amenés à tâtonner à l’heure actuelle, à ne pas trop savoir ce qui peut fonctionner et comment. En outre, le manque de compétences techniques peut très souvent limiter les « apprenants » dans leurs projets donc dans l’analyse de l’enrichissement éditorial — ils n’ont pas pu réaliser quelque chose donc le tester.
Je conçois bien volontiers que le choix d’un format et d’un outil propriétaires peut être sujet à débat ; il n’empêche que nous pourrions en faire et en apprendre beaucoup par ailleurs. De quoi nous inciter à au moins passer une après-midi dans le logiciel pour juger s’il peut répondre à certains de nos besoins.
Il semblait prometteur à sa sortie… Utilisé peu de temps après, dans sa première version pas super pratique, sans possibilité d’import par exemple, pour un livre de recettes de cuisine, je lui ai trouvé une vraie valeur ajouté pour ce type de livre où il y a de nombreux visuels et une mise en page spécifique. Il permet de facilement proposer une mise en page améliorée et plus claire (ingrédients, déroulé de la recette…) et quelques options intéressantes comme proposer plusieurs vues d’une recettes en faisant glisser la photo, afficher facilement et de façon pratique des informations sur les ingrédients au format pop-up en cliquant sur l’ingrédient (via un glossaire), et même un « mode cuisine » qui affiche chaque recette en quelques étapes et très gros caractères pour pouvoir suivre une recette , un peu de loin dans sa cuisine, sans dégueulasse son ipad…
Le mode de navigation proposé, en le personnalisant un peu, est intéressant et plutôt intuitif à mon goût.
C’était un début… Je trouvais que c’était assez excitant même ! On allait pouvoir réfléchir à ce qu’un livre numérique pouvait proposer de plus qu’un livre papier avec l’ajout simple d’un peu d’interactivité (sans excès) de multi-touch … et plein d’autres choses encore à penser. Pour au final un livre plus ergonomique ?
Seulement voilà… C’est quand même un peu chronophage iBooks Author ! Et on peut difficilement envisager de publier un livre seulement sur l’iBooks Store… Donc après, faut faire une version epub, et puis la convertir proprement pour Kindle. Et là, ça devient un peu ingérable pour un tout pitchoun d’éditeur.
Et puis, maintenant que Madame la ministre nous impose de publier dans au moins un format non propriétaire, quand tu envisages de publier sur Apple et sur Amazon, si tu utilises iBooks Author, tu te retrouves avec 2 formats propriétaires…
Et, pour finir, c’est un détail mais bon… Il provoque une certaine frustration ! ou agacement, parce que quand je regarde mon livre version iBooks Author, que je le tripote, je le trouve trop super beau ! 🙂 Et à côté, y la version Kindle, optimisée pour s’afficher à peu près correctement dans touts les kindle, y compris paperwhite, qui est… super moche du coup ! 🙁