Introduction iBooks Author

Hier, Apple a annoncé vouloir changer le monde de l’éducation. Pour ce faire, iBooks a été mis à jour, iBooks Author est distribué gratuitement à tous les possesseurs de Mac, une app iTunes U a été créée. Comme d’habitude, l’accent a été mis sur l’écosystème. C’est la force d’Apple, c’est peut-être également l’argument de vente numéro 1 d’iPad et iPhone. Ici, l’idée est de faciliter la vie des enseignants et étudiants : Apple leur offre des outils gratuits qui se trouvent être très confortables et simples d’utilisation.

Aujourd’hui, j’ai décidé de me concentrer sur l’outil d’authoring fourni par Apple : iBooks Author. Quand vous développez des livres enrichis avec une mise en page fixe, ce logiciel peut potentiellement révolutionner votre travail. Fini les longues sessions de codage à la main, bonjour le glisser-déposer dans la plus pure tradition Apple.

De prime abord, le logiciel apparaît puissant et user-friendly. La curiosité nous pousse donc à le tester au plus vite. C’est parti !

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iBooks Author, l’iWeb du manuel scolaire

Le ton est donné dès l’ouverture d’iBooks Author : nous sommes clairement sur une app dédiée au monde de l’éducation. Les modèles ont été prévus pour ça (et rappellent d’ailleurs les manuels scolaires que l’on peut trouver en papier aux Etats-Unis), le glossaire est impossible à rater, la mise en page pointe directement vers la non-fiction. Sur le site d’Apple, on parle même d’ibooks textbooks (« manuel scolaire ibooks » en français). Bref, considérez iBooks Author comme un iWeb du manuel scolaire tant il a été conçu dans cette optique. Les autres iront certainement voir ailleurs… tout en se renfrognant.

Nous regardons l’interface, nous commençons à jouer avec ses fonctions et nous tirons une conclusion logique : nous sommes bien dans l’univers Apple, nous ne pouvons pas nous tromper. L’app est vraiment labellisée Mac, ça ne fait aucun doute. Pour autant, ne la voyez pas trop comme une application pro. Elle s’adresse plutôt au corps enseignant qui dispose là d’un outil gratuit et facile à prendre en main. Des éventuelles « PME » (qui n’ont pas les budgets nécessaires pour tout faire main ou acheter Adobe InDesign) pourront également être séduites par cette solution. Reste que pour sortir du domaine de l’éducation, il faudra travailler à partir des modèles de base et les modifier en profondeur afin d’obtenir la mise en page voulue. Il est même possible d’enregistrer ses modèles personnels pour un usage futur. Ça n’aurait pourtant pas fait de mal à Apple de nous sortir un modèle vierge si vous voulez mon avis.

Nous ajoutons des widgets ici et là, les guides permettant de bien les placer sur la page du livre.  Il n’a jamais été aussi facile d’intégrer du contenu multimédia dans un livre numérique. L’application est d’ailleurs très puissante et gère quantité de contenus :  vidéos, audio, javascript, HTML, galeries photo, images interactives, présentations Keynote, QCM et même éléments 3D. Il sera assez difficile de trouver des défauts à iBooks Author sur ce point-là. Vous pourrez même gérer le cauchemar absolu du fabricant de livre numérique : les graphiques (qui devaient être intégrés comme images jusqu’ici).

Nous cliquons sur un nouveau bouton et nous découvrons qu’en mode portrait, il n’y a plus que le texte qui apparaît. Nous repassons en mode paysage pour activer la version enrichie. C’est une plutôt bonne idée mine de rien. Cette fonctionnalité à la limite du « magique cupertinien » nous permet de nous concentrer sur le texte si nous en ressentons le besoin. Par contre, le livre sera limité à iPad. Exit iPhone et Mac

Nous finissons très rapidement notre petit livre de test en ajoutant des textes déjà rédigés avec Pages ou Word et nous décidons de le publier. Nous aurions même pu le prévisualiser en temps réel sur iPad, un peu sur le modèle de Book Proofer, une petite application qu’Apple réserve à l’usage des éditeurs. iBooks Author nous propose l’export au format ibooks, PDF ou texte. Attendez, pas d’export EPUB ? Nous essayons alors d’ouvrir un fichier EPUB avec iBooks Author, c’est impossible.

Passons donc aux choses sérieuses, ces choses qui fâchent.

ibooks, c’est de l’epub?

Si vous essayez d’ouvrir le fichier tel quel avec un éditeur comme Sigil, ça ne marchera pas. En effet, le mimetype (le fichier qu’utilise l’OS des liseuses et apps pour déterminer quel est le format du fichier) est le suivant

application/x-ibooks+zip

là où le mimetype d’un fichier epub est

application/epub+zip

Si vous le modifiez (ou remplacez l’extension .ibooks par .epub), le fichier pourra alors être ouvert par d’autres applications qu’iBooks 2, mais restera toutefois quasi illisible puisque les feuilles de style seront totalement ignorées.

Pour résumer, ibooks a le goût de l’EPUB, le contenu de l’EPUB mais n’est pas totalement de l’EPUB. Nous croyons voir un EPUB lorsque nous « dézippons » le fichier créé, mais ce n’en est pas un si nous le regardons plus en détail.

Assets regroupe les images, feuilles de style, un fichier ncxExtensions.xml, des miniatures des pages au format jpeg ainsi que des fichiers plist permettant le « glisser-déposer » d’images dans l’app iBooks Author (croyez-moi, les plist sont des plaies à créer à la main, j’ai dû m’y atteler pour des modèles Mail.app).

Si nous décidons d’aller encore un peu plus loin, d’autres découvertes se présentent à nous.
Globalement, 3 feuilles de style différentes sont utilisées par fichier xhtml

<?xml-stylesheet href='assets/css/content2.css' type='text/css' media='all'?>
<?xml-stylesheet href='assets/css/content2-paginated.css' type='text/css' media='paginated and (orientation:landscape)'?>
<?xml-stylesheet href='assets/css/content2-nonpaginated.css' type='text/css' media='nonpaginated and (orientation:portrait)'?>

Auxquelles s’ajoutent

<link href=“../Images/content2.svg” rel=“stylesheet” type=“text/xml+svg” />
<link href=“../Misc/content2-landscape.plist” media=“paginated and (orientation:landscape)” rel=“alternate” type=“application/x-ibooks+linehints” />

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Je pensais avoir tout vu avec le fichier double-couche KF8 en matière d’inventivité (mobi7 au dessus, KF8 au dessous). Là, je dois dire que nous avons un concurrent des plus sérieux.

Après vérification, le fichier ne passe pas le test EPUBCheck (pour EPUB3). Ce qui valide finalement l’hypothèse d’un dérivé du standard EPUB. ibooks est une sorte d’EPUB emballé dans une armure faite sur mesure pour iPad, armure qui reprend des propositions abandonnées et rejetées de façon collégiale par l’IDPF pour les spécifications EPUB3.

Le contenu de la page sera très difficilement lisible ailleurs, même en bricolant. Par exemple, Azardi (lecteur desktop compatible EPUB3) n’y arrive pas. Apple a donc créé un format qui diffère suffisamment d’EPUB pour ne pas être interopérable. Si des DRMs FairPlay sont ajoutés sur un « ibooks textbook », nous tenons là le « combo gagnant » : DRM impossible à enlever, livre illisible sur d’autres machines. Vu la logique de fonctionnement des fichiers ibooks, bon courage à ceux qui se sont décidés à fournir un convertisseur pour le passer en EPUB… fonctionnel —surtout qu’il fait planter à peu près tout ce qui l’ouvre, même l’éditeur HTML que j’ai ressorti pour l’occasion.

Vous trouverez d’autres détails ici et . Je valide totalement ce qui a été dit dans ces articles puisque j’ai tiré les mêmes conclusions (et me suis fait allumer par des adeptes Mac radicaux). Nous sommes réellement très proches du format EPUB3 mais il y a trop de choses propriétaires pour qu’il soit considéré comme tel, d’autant plus que ces choses propriétaires servent quasiment de base pour le rendu du format. Nous trouvons même des propriétés CSS propriétaires pour les marges… De fait, la conversion ibooks vers EPUB s’apparente à la conversion d’un document Word (formaté avec une mise en page riche) vers le format TXT (il ne reste plus que le texte). En d’autres termes, c’est de l’appauvrissement.

En résumé, au lieu de mettre à jour le support EPUB3, Apple a fabriqué un format dérivé qui utilise une quantité impressionnante de choses non-standard dans le but de privilégier la forme du livre. Tant pis pour les autres. Le rendu sur les appareils concurrents n’est pas une nécessité absolue. Même les feuilles de style CSS utilisées pour le mode portrait (donc purement textuel) font usage de ces propriétés non-standards et non-documentées !

Quant aux graphiques, même si j’ai eu beaucoup de mal à vérifier vu que le fichier me fait planter à peu près toutes les « apps de fabrication EPUB », je crois bien qu’ils sont intégrés sous forme d’image .png…

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Le contrat de licence

Tout fichier voué à la vente et créé avec iBooks Author doit obligatoirement être distribué uniquement via iBookstore… si le livre est validé par les équipes d’Apple. S’il est distribué gratuitement, vous pouvez alors le proposer ailleurs. Certainement la contrepartie de la gratuité de l’application.

Et apparemment, il y aurait aussi des changements dans le contrat iTunes Connect en ce qui concerne la conversion automatique des fichiers PDF et une éventuelle obligation de publier tout le catalogue sur iBookStore (là, il faudra demander à quelqu’un qui a une copie de ce contrat, je ne l’ai pas sous la main).

Je vous laisse juge et ne m’étendrai pas sur le sujet étant donné que ce n’est pas mon boulot.

Conclusion

Pour être honnête, nous attendions beaucoup de cet événement, et ce même s’il était dédié à l’éducation. Avec le Morse, nous avions de très sérieux doutes sur l’ouverture d’iTunes Connect envers les auto-publiés et parions sur les manuels scolaires et une application pour fabriquer des livres enrichis. Nous aurions dû parier gros là-dessus vu que nous avions vu à peu près juste.

Nous attendions également cette keynote dans le sens où elle indiquerait vers quelle solution Apple irait dans un futur proche en ce qui concerne l’enrichi : app-livre ou EPUB. Malheureusement, nous nous retrouvons avec un format hybride qui lierait presque les deux : ibooks. Et nous ne savons absolument pas s’il sera étendu au-delà des manuels scolaires.

L’application iBooks Author est une très belle réussite, il n’y a aucun doute à avoir là-dessus. Enfin les gens qui ne veulent pas se prendre la tête disposent d’une solution facile à utiliser et suffisamment puissante pour faire du livre enrichi. Mais à quel prix ! Un standard ouvert bricolé avec des propriétés maison, des feuilles de style qui sont quasi impossibles à convertir (même manuellement) pour assurer une interopérabilité des livres dans ce format, une exclusivité totale sur iBookStore si usage commercial est fait du fichier. À bien y réfléchir, j’aurais préféré payer une app EPUB3 conçue pour les pros.

iBooks Author, iBooks 2, l’app iTunes U et iPad changeront peut-être le monde de l’éducation —encore que la révolution passera surtout par le changement des mentalités de ceux qui composent ce petit monde— mais tout le contenu ainsi créé sera lié à un seul fabricant. Il faudra alors créer une version EPUB3 de zéro pour le rendre disponible à tous. Autant Apple nous a plutôt bien aidé avec le contenu enrichi par le passé, autant j’ai beaucoup de mal à adhérer à l’idée d’un monde de l’éducation enfermé dans l’écosystème Apple.

Vous l’aurez compris, je ne sais plus quoi dire. Ce qui se passe actuellement dans l’industrie du livre numérique est plutôt moche et j’en viens à espérer une réaction collective pour imposer des standards communs aux différents développeurs et fabricants. Rappelez vous qu’à la base, EPUB est prévu pour ça… enfin, s’il n’est pas modifié.

3 commentaires Introduction iBooks Author

  1. Crash

    Effectivement, il y a pas mal de choses propriétaires au sein de ce format. Cependant, on peut remarquer que pas mal de fonctions CSS préfixées par ibook-* sont en réalité des alias de fonctions CSS 3 qui sont encore en draft à l’heure actuelle.

    Sachant que iBooks ne dispose pas, lors de la MAJ, de la possibilité de mettre à jour le framework WebKit, soit iBook à depuis les précédentes versions ou MAJ d’iOS, la possibilité de gérer ces balises, soit Apple embarque maintenant non plus un webkit dans son OS, mais peut-être plusieurs dont 1 spécifique renommé en ibook sur iBooks.

    Si c’est le cas, ça veut dire qu’on peut peut-être espérer qu’un jour, les ibook-* soient remplacés par des webkit-* ce qui voudrait dire qu’on se rapprocherait de nouveaux d’une possible compatibilité au fur et à mesure.

    Sinon je partage votre point de vue sur le public visé par cet outil. Le self-publishing des professeurs à l’état pur. Ce qui risque de briser par contre la qualité des livres sur iBooks…

  2. Jiminy Panoz

    Hum, pour revenir sur les fonctions CSS, un membre du groupe de travail W3C CSS a expliqué les choses suivantes :

    « Extended underlining is based on an old draft of CSS 3 Text and some of these proposed properties were dropped by the CSS WG after discussion in www-style. »

    « The ability to control the size of each column and column gap was recently discussed in the CSS WG. The Group decided that allowing setting of individual column width and column gap width is not a feature considered for the first REC of this document. So Apple is here extending the CSS Multi-Column Layout Module and never told us about it. »

    « iBooks offers a mechanism for regions and exclusions. It is a system vaguely similar to - but still different from - what Adobe proposed with CSS 3 Exclusions and Adobe’s proposal is the document the whole CSS WG is working on. »

    Voir http://www.glazman.org/weblog/dotclear/index.php?post%2F2012%2F01%2F20%2FiBooks-Author-a-nice-tool-but

    Et puis il y a ce mail d’un employé Apple qui date de Mars 2011 :

    http://lists.w3.org/Archives/Public/www-style/2011Mar/0189.html

    Honnêtement, j’ai beaucoup de mal à les voir re-standardiser tout ça. Je pense plutôt qu’ils espèrent une propagation rapide des textbooks pour obliger l’IDPF à retravailler EPUB3 en reprenant les travaux d’Apple tout en laissant tomber ceux d’Adobe (et éventuellement en faire EPUB4… comme imaginé dans l’article de glazman) par la force « commerciale ». D’ailleurs, je crois trouver cette idée dans ce petit passage

    « Apple has a strong preference for region models where the containers are always anonymous boxes. »

    C’est peut-être de la sur-interprétation de ma part mais je crois qu’ils ne voulaient pas l’avoir fait pour rien… En gros, maintenant, je pense que ça va surtout tourner à la guerre froide entre les tenants du standard et Apple, avec tout ce que ça implique de négatif.

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