eBook Design : In my Head

On continue dans l’ebook design puisque c’est mon cheval de bataille du moment. Cette fois-ci, nous allons parler dIn My Head , sorti il y a un bail, et dont j’ai tellement expliqué le design en privé que je prends la décision de régler l’affaire une bonne fois pour toutes avec ce billet.

In My Head était en quelque sorte une expérimentation : l’idée était d’utiliser au maximum la forme et de voir ce qui pouvait se passer. En d’autres termes, le sens ne passe pas que par le contenu, mais également par le design du livre. Le visuel est devenu quelque chose de tellement important de nos jours qu’il en devient fun de l’utiliser dans des domaines qui n’ont pas encore été « pervertis ».

Ce billet me permettra également de vous montrer que nous pouvons envisager un vrai gros travail typographique sur de la fiction.

La typo

In my Head ne dispose pas de deux polices, pas de trois polices, pas de quatre polices […] mais de six polices (à considérer la police du corps de texte qui devrait logiquement être celle de votre liseuse… Une police serif si j’ai un peu de chance) !

Remarque : on considère généralement que trois polices, c’est la limite max. Ne prenez donc pas exemple sur moi, d’autant que nous parlons là de quelque chose d’expérimental.

Normalement, un si grand nombre de polices signifie un bordel incommensurable. Où est le secret alors ? Eh bien quatre de ces polices pourraient globalement — de loin — être considérées comme des déclinaisons d’une même police : American Typewriter. Du coup, ça devient moins gênant. Ou alors vous considérez qu’elles partagent le même « style », et nous allons y venir. Ou alors vous trouvez une autre raison et vous m’en faites part.

Pour rappel, American Typewriter rappelle la police des machines à écrire. Elle a été créée en 1974 et est perçue comme une police froide : utilisée pour des lettres purement professionnelles, les scénarios de films, etc. C’est une police monospace : chaque lettre occupe le même espace, ce qui crée une monotonie quelque part.

Je garde leur fonction pour plus tard et enchaîne sur la gestion du contenu en bloc là où nous attendrions plutôt de l’indentation. En général, la gestion en bloc est utilisée pour la non-fiction. Mais dans certains cas, il peut être bénéfique de l’utiliser pour de la fiction. Ici, nous sommes dans les têtes des personnages, nous lisons donc leurs pensées. Or, les pensées peuvent bien évidemment être déliées et arriver en bloc, tout simplement. Cette méthode permet donc d’exprimer ceci (impact de la pensée qui arrive).

Vous pouvez également remarquer que la ponctuation est inversée (¿ + ¡), ce que certains n’ont pas hésité à questionner. Ce n’est pas un bug, c’est voulu car porteur de sens. Les parties des psychopathes ont toutes cet inversement de ponctuation là où l’interview du personnage féminin retrouve une ponctuation normale. En gros, c’est fait pour gêner, comme pour montrer qu’il est douloureux de plonger dans les pensées de personnes mentalement dérangées.

Docufiction

In my Head fait partie de la catégorie Docufiction, dont Harold Jaffe est en quelque sorte le pape. La docufiction, c’est une sorte de patchwork de documents divers qui font avancer une histoire. Ici, nous trouvons un patchwork de pensées, d’articles de journal et d’images. Il fallait donc veiller à différencier les contenus. Aucun souci avec l’image, mais pensées et articles de journal devaient être traités de façon différente afin de ne laisser aucun doute lors du scan rapide de la page (ce que nous faisons automatiquement avant de lire).

Aussi les articles de journal ont eu droit à une mise en page spécifique : colonne de texte moins large pour rappeler les colonnes des journaux, header-logo « The Hollywood Newspaper », titre de l’article, lettrine. Pour plus de cohérence, et afin de mieux gérer les autres éléments parasites suffisamment nombreux par ailleurs, la gestion en bloc est toujours utilisée (on aurait pu attendre l’indentation une nouvelle fois). Bref, nous essayons ici de vaguement rappeler la mise en page d’un vrai journal (ou d’un magazine) afin que le lecteur puisse savoir que nous changeons de nature de contenu.

Enfin, une police qui rappelle les vieilles étiqueteuses (vous savez, les bandes qu’on colle sur les cahiers ou objets, voir photo ci-dessous) sert d’enrobage purement cosmétique afin d’amplifier l’idée de dossier. Elle dispose pourtant d’une fonction bien précise et tire dans le même sens que les autres polices comme nous allons le voir. Vous pourrez remarquer que l’étiquette « Fade Out » est disposée au centre de la mise en page, pour clairement marquer une pause. En effet, ça casse le flux dans le sens où ça ne commence pas à gauche et qu’il faut faire glisser le regard jusqu’à la première lettre, et l’espace blanc ne constitue pas un bloc visuel suffisant pour faire une différence nette — vous comprendrez donc que pour faciliter la lecture, il faut aligner à gauche.

Construire une atmosphère

Le but est de construire une atmosphère grâce au visuel, que l’ambiance du livre soit compréhensible en un seul coup d’œil. C’est une sorte de décor.

Les images ont donc un rôle à jouer : leur style obscur ou inhabituel, et leur « point de vue » bizarre permet d’insuffler l’idée de malaise.

En y ajoutant des polices dédoublées, ou dont l’alignement est imparfait, nous rendons le tout inconfortable. Les polices utilisées dans le livre parasitent en fait la lecture, car nous imaginons la police normale qui a servi de base pour les créer. En d’autres termes, c’est familier et étranger à la fois, pas vraiment inconnu ni relativement inhabituel. Un peu comme le côté sombre que nous découvrons chez quelqu’un que nous connaissons depuis un certain moment et qui ne nous plaît pas.

La police des « headings de pensées » ont une personnalité qui exprime l’instabilité et mettent directement dans le bain, la police des paroles joue avec la phrase qui précède cette partie et résonne visuellement (la résonance est d’ailleurs bien marquée par l’usage capitales / minuscules) , la police des « headings de journal » rassure alors que la police qui suit fait contraste (on pourrait la prendre à première vue pour des caractères gras, ce qui n’est pas le cas, même si elle met en exergue un peu de la même façon).

Il peut être utile de faire remarquer que l’usage de la police par défaut de votre liseuse, celle à laquelle vous êtes habituée, renforce encore un peu plus le contraste.

Enfin, pour l’anecdote, la bande originale n’est pas gratuite. Elle apporte également quelque chose mais n’a pu évidemment être intégrée dans le livre pour des raisons de droits. La mélodie a une fonction, les paroles aussi (indice : parasiter votre cerveau).

La forme peut apporter du sens

Bon. Certains verront cela comme de la triche mais ça m’amuse puisque j’ai eu le droit aux analyses WTFesques en littérature anglo-saxonne pendant des années. Personnellement, je trouve dommage que nous nous servions si peu de la dimension visuelle pour exprimer des idées alors que c’est quelque chose que nous vivons au quotidien : telle pub implique telle idée, telle image nous fait ressentir tel souvenir, etc.

Prenez la police Art Deco du « logo » du journal. L’Art Deco renvoie à l’âge d’or hollywoodien (et hop, ironie par rapport au contenu de ces articles), au Studio System (standardisation de la production avec intégration verticale : les scénaristes et acteurs étaient des employés à plein temps). Le style narratif de l’époque progressait à travers les motivations psychologiques : volonté du personnage principal et sa façon de franchir les obstacles qui se dressaient sur sa route. Visuellement, les personnages importants sont au centre du cadre et y occupent une place égale. La structure est bateau : début, milieu et fin. Les acteurs, les événements, les causalités, les intrigues principales et secondaires étaient utilisés comme des pions dans cette structure — faites de tout ceci ce que vous voulez, du genre rapprochement avec le bouquin…

Et les noms des personnages dans cette police qui semble être en caractères gras ? Vous pensez pouvoir en faire quelque chose ?

Et puis la pub, tiens. Les encarts de pubs disséminés dans l’interview sont liés aux pubs à la fin du livre (vous savez, le catalogue que vous trouvez en fin de roman en général). Il y avait possibilité de l’intégrer de manière sympa, donc autant le faire. Du coup nous avons une pause réellement vécue par le lecteur.

Conclusion

Les retardataires pourront juger du résultat en payant avec un tweet / Like ou en s’inscrivant à la newsletter du site (en haut à droite). Si certains souhaitent supporter financièrement mes recherches et travaux, il est également disponible chez votre revendeur préféré pour moins de 2€.

En tout cas, je peux affirmer que cette expérience était fun de mon côté et que ça en a intéressé quelques-uns, des personnes avec qui j’ai pu longuement en discuter par mail et qui ont compris l’intention. Cela étant dit, je sais que cette approche peut en offusquer certains, ceux qui pensent que l’atmosphère doit purement passer par les mots. Ça tombe bien, je ne suis pas écrivain. Mais en tout cas, à plus faible dose, il est certain que ce genre de choses peut apporter un peu d’émotion dans un objet dématérialisé.

2 commentaires eBook Design : In my Head

  1. Guy

    Bonjour,

    Je débute dans la sphère du blogging et j’ai découvert qu’il faut respecter certaines étapes si l’on veut réaliser un livre…
    Pour ma part je souhaite diffuser un livre qui puisse être lu sur un écran d’ordinateur, une tablette ou une liseuse.
    Au regard de ce que j’ai lu sur internet, certains propose du plus simple au plus compliqué .
    Ce que je recherche, c’est que le résultat en mode lecture soit correct.
    J’ai écris mon livre sous word et je pensais le basculer sous format PDF !!!
    À part la 1ère page ( la couverture), où il y a une image, tout le reste est du texte simple.
    Que pouvez vous me conseiller à moindre coût afin de développer ce livre?
    Par avance merci.
    Guy

    1. Jiminy Panoz

      Bonjour.

      Effectivement, pour que le livre puisse être lu sur un écran d’ordinateur, de tablette ou de liseuse, il faut oublier le PDF. Non seulement les revendeurs connus le refusent tous (à l’exception de Google qui s’arrange pour le convertir ensuite), mais en plus le format ne sera pas confortable pour les lecteurs. Ils ne pourront par exemple pas agrandir la taille du texte ou choisir la police de caractères qui leur convient le mieux. Le PDF est donc grosso modo à réserver au Print on Demand — il y a d’autres cas où le PDF peut éventuellement convenir mais ce n’est pas trop le sujet ici.

      Dans votre cas, puisqu’il y a majoritairement du texte, il faut se tourner vers EPUB (et Amazon Mobi) qui sont deux formats pensés pour adapter le contenu (le texte) à l’écran de l’appareil utilisé par le lecteur. Le contenu n’est pas redimensionné pour rentrer dans l’écran, il est dit « fluide ». Pour expliquer brièvement, cela signifie que le nombre de pages n’est pas fixe et que le maximum de mots sera affiché à l’écran en fonction de la taille de celui-ci. Le texte pourra également être réglé à la convenance du lecteur (police de caractères, taille de caractère, marges, interligne, etc.), ce qui lui offre un confort optimal. Voir http://jiminypanoz.com/2012/03/08/reflowable-text-et-fixed-layout/ pour de plus amples explications.

      Il existe pas mal de solutions EPUB/Mobi : des applications, des services, des plugins d’export, des modèles de base, etc. Je dirai que tout dépend des besoins et des connaissances HTML et CSS.

      Si les besoins ne sont pas énormes, un plugin d’export pour le traitement de texte pourra faire l’affaire, à condition de bien le choisir — il existe même des traitements de texte spécialisés EPUB. À ce moment là, voir ici pour le formatage (traitement de texte) : http://jiminypanoz.com/2012/03/21/formater-un-livre-numerique/
      Si les besoins sont nombreux, au niveau du design éditorial par exemple, alors il faut tout faire à la main. À ce moment là, il faut soit s’auto-former, soit faire appel à un prestataire. L’auto-formation peut être longue, d’autant que les choses sont devenues très complexes au niveau technique (contourner des bugs gênants de tel moteur de rendu, savoir quels choses peuvent être utilisées, etc.).

      À noter qu’il existe également des services qui fonctionnent comme des plateformes de blogging et permettent de fabriquer son livre numérique puis de l’exporter (PressBooks par exemple).

      La bonne nouvelle, c’est qu’il suffit aujourd’hui d’un fichier EPUB. Il pourra être converti dans le format Amazon Mobi sans trop de souci. Il n’y a donc pas besoin de faire le travail deux fois. Voir http://jiminypanoz.com/2011/12/10/modifier-un-epub-pour-kindle/

      Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas.

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