Difficile de ne pas s’émerveiller des volumes de ventes de certains auteurs auto-publiés américains et des Small Press qu’ils gèrent parfois. Amanda Hocking a vendu des millions de copies de ses livres, J.A.Konrath des centaines de milliers, une vingtaine d’élus sont en train de marcher dans leurs traces (au moins 1.000 copies mensuelles) pendant que d’autres intéressent plusieurs centaines d’acheteurs chaque mois. La majorité, pourtant, ne vend quasiment rien.
Et si, au fond, nous allions détailler un peu leur mode de promotion pour prendre ce qui fonctionne et voir ce que nous pouvons en récupérer ? La qualité des écrits aide bien évidemment aux volumes mais ils ne font pas tout.
Le marché américain
Pour m’être frotté à eux lors de l’auto-publication d’American Gonzo, j’ai pu me rendre compte du fossé qui nous sépare.
Le marché de l’e-book est en pleine explosion et connait une dynamique ahurissante. Loin d’être écrasés par les grands éditeurs, les indépendants tirent leur épingle du jeu et trustent bien volontiers les TOP100 des revendeurs. Il faut admettre qu’une saine émulsion est née de la confrontation de grands groupes, Amazon et B&N en tête. Ils n’ont pas hésité à ouvrir leurs portes aux petits (Kindle Desktop Publishing, B&N PubIt !) et sont récompensés pécuniairement pour le risque qu’ils ont pris. Au final, des millions de machines dédiées se retrouvent dans la nature, les applications ouvrent leurs catalogues aux devices concurrents et les plate-formes indépendantes de référence (SmashWords) connaissent un beau succès.
Amazon, qui pousse le marché à hauteur de 50% n’a pas encore lancé le Kindle en France. La Fnac vient à peine d’entamer ce processus. Il est urgent d’attendre que la guerre soit enfin déclarée et d’en observer les premiers résultats.
Malgré tout, il y a des lecteurs d’e-books en France. A titre d’exemple, 1.000 exemplaires de la version française d’American Gonzo ont été distribués gratuitement en 3 semaines avec 5 liens directs déposés sur 5 sites différents… et ont engendré des ventes papier et numérique. Ils ont été distribués tant au format ePub qu’au format .mobi (pour Kindle), les téléchargements de la version anglaise effectués en France n’ont pas été comptabilisés mais représentent un beau volume.
NB : Au risque de vous surprendre, il existe aussi une demande plus ou moins étendue pour les livres français dans le monde. Aussi ai-je été assez surpris de voir la version française représenter près de 25% des volumes de vente globaux sur les plateformes Kindle et iBookStore.
Ceux qui s’en sortent n’attendent pas le succès…
Ils le provoquent.
Les auteurs publiés vous le diront allègrement, il faut se battre pour être vu. Des centaines de milliers de livres sont disponibles chez les revendeurs, il faut mettre le bleu de chauffe pour se donner une chance d’émerger. Les auteurs mid-list ne cachent pas qu’ils ne se reposent pas uniquement sur leur éditeur pour faire la promotion de leur livre. Un auteur qui réussit, à plus ou moins grande échelle, est un jack of all trades (homme à tout faire) qui partirait au combat pour donner une raison à son existence ou, par prolongement, une raison à l’édition et l’existence de ses livres. C’est l’une des raisons pour laquelle certains s’émancipent complètement de leur éditeur tandis que d’autres le font partiellement, en auto-publiant des livres qu’ils se sont vu rejetés (et qui font pourtant de beaux volumes).
Quotidiennement, ils dédient une partie de leur temps de travail à la promotion de leur dernier livre. C’est une facette qu’ils ont clairement intégrée et dont ils ne peuvent faire l’économie. Certains envoient des centaines de mails, d’autres apportent leur expertise sur des forums, quelques-uns cherchent des modes de promotion alternatifs et les plus populaires mettent à jour leur blog.
Demandez leur opinion sur un auteur qui ne vend rien et qui s’en plaint, ils vous répondront qu’il ne fait rien pour vendre et qu’il mérite son sort.
En réalité, tout cela va bien plus loin qu’un travail organisé. Les indépendants et Small Press ont établi des leviers de promotion peu onéreux mais terriblement efficaces. Evidemment, l’on prendra soin de pondérer ces mécanismes avec un facteur chance, à considérer que peu peuvent vivre de leurs écrits et se vanter de volumes impressionnants.
Self-marketers experts du bouche-à-oreille
Les indépendants anglo-saxons ont abandonné toute vision romantique depuis bien longtemps. Ils ont décidé de se muer en experts de la communication sur internet. Ils savent que, peu importe la qualité de leur livre, si personne ne sait qu’il existe, personne ne l’achètera. Au même titre que les maisons traditionnelles, ils créent d’abord le désir. Pour autant, ils ne déboursent pas un dollar.
Evidemment, ils ciblent les lecteurs potentiellement intéressés par leurs livres et appuient sur ce levier. En « attaquant » les bons lecteurs, ils économisent du temps.
Dans le domaine du livre, l’on a coutume de dire que la meilleure promotion est le bouche-à-oreille. Effectivement, la publicité ne fonctionne pas pour une grande partie des livres et, de toute manière, les indépendants ne peuvent se le permettre.
Les indépendants ont également appris à oublier les médias traditionnels. Dans une culture qui ne se cache pas de faire payer les critiques de livres (ou, du moins, faire payer pour sauter la file d’attente), ces petites structures ont tout parié sur des médias plus modestes.
Ainsi, ils n’hésitent pas à offrir leur livres à des lecteurs en échange de Reviews (avis) qui seront déposées sur les plateformes de vente, sans pour autant pousser les lecteurs à rédiger un avis favorable. Peu importe que les avis soient rédigés par des bloggers, sites établis ou simples lecteurs, tous sont traités avec les mêmes égards.
Une petite règle pourrait même être énoncée :
Mauvaises critiques = mauvaises ventes.
Aucune critique = aucun intérêt.
Bonnes critiques = bon travail.
Quand vient l’heure d’offrir une visibilité à son livre, il peut être très utile de le voir listé dans le classement des meilleures ventes, tout comme celui des livres les mieux notés. Beaucoup de lecteurs n’achètent qu’en consultant ces classements-là !
De nombreux autres leviers sont utilisés pour déclencher l’envie et promouvoir le livre. Les coupons promotionnels, les offres spéciales, les périodes promotionnelles des plate-formes de vente, liens affiliés, etc.
Un des plus importants de ces leviers est le web social. Twitter semble exceller dans cette discipline. Lorsque l’on retweete votre message, vous multipliez sa visibilité. Partant de ce principe, certains ont construit une stratégie quasi-machiavélique. En organisant un petit concours, dont le gain est le livre promu, des auto-publiés ont vendu plusieurs centaines d’exemplaires dudit livre en une seule journée. Ces auteurs ont incité les gens à promouvoir le livre en échange d’une copie gratuite, puis ont tiré au sort les gens qui ont accepté de le faire. Résultat : zéro dollar dépensé, [nombre de copies vendues] X les royalties qu’ils se sont alloués.
De fait, les indépendants ont exploré bien des voies, trouvé les leviers qui fonctionnaient et ont bâti un mécanisme bien huilé. Tout se voit soigné dans les moindres détails, des signatures de forums aux communiqués de presse en passant par les mots-clés des fiches-produit de leur livre. Pour être exhaustif à ce propos, il faudrait écrire un livre…
Un écosystème complet à leur disposition
Il ne sert à rien d’actionner des leviers si l’écosystème ne laisse de place aux plus petits. Si l’on daigne se plonger encore plus loin dans l’observation, l’on peut constater que l’environnement leur est même favorable.
Culturellement, d’abord, les Etats-Unis ont le mythe de la contre-culture bien ancré. Auteurs de niche, auteurs barrés, auteurs stylés et autres auteurs expérimentaux se sont toujours vu accordés une place au centre des débats. La culture américaine a même pu en faire des héros à certaines occasions (émergence d’auteurs Pulp, par exemple).
Des centaines de sites divers et variés sont à leur disposition. Tantôt généralistes, tantôt spécialisés, ils sont autant de home sweet home pour les auteurs indépendants et les Small Press.
Les communautés de lecteurs ( LibraryThing, BookGlutton, Copia, GoodReads) sont des outils précieux pour les auteurs, leur permettant de trouver des gens qui aiment les livres et, surtout, en parlent.
Des communautés ont été mises en place et connaissent une activité débordante. L’on y compte KindleBoards, Nookboards, eBookGrab ou Mobileread.
Les blogs ouvrent leurs colonnes aux auteurs et éditeurs indépendants, publient des articles de qualité et acceptent même le principe de BlogTour, forme de tour virtuel où l’auteur traite d’un sujet particulier, relate ses expériences, répond aux questions qui lui sont posées et voit son livre promu de façon subtile. Loin de mettre en avant la sortie du livre, les intervenants en profitent pour enrichir le débat, apporter des témoignages, échanger avec des lecteurs, proposer des pistes. Les auteurs sont assez intelligents pour savoir qu’une promotion outrancière ne les servira pas !
Des sites populaires vont jusqu’à lister les livres gratuits (gratuité permanente ou temporaire). Des milliers de visiteurs y viennent quotidiennement.
Enfin, plus impressionnant encore, des sites ont été conçus pour mettre en relation auteurs et journalistes. Les journalistes ont souvent besoin d’intervenants experts pour traiter de sujets qu’ils maîtrisent mal. Là encore, l’on ne se cache pas d’un système gagnant-gagnant.
Tout est propice à l’épanouissement des indépendants. Personne n’ira chercher à garder des secrets et tout se fait avec transparence. Les blogs ne se cachent pas d’aider des auteurs en leur offrant une tribune, les auteurs communiquent librement avec les lecteurs, ceux qui s’offrent une visibilité dans les médias ne sont pas jugés opportunistes pour autant. Au fond, tout le monde y gagne et c’est cela qui ressort à la fin de la journée. Tous participent, main dans la main, à la diversification et l’enrichissement de l’offre littéraire. Inutile de mettre en avant qu’il existe aussi une forte idée d’entraide dans cette communauté…
Un travail de dur labeur et de longue haleine
Tout semble se jouer comme si le système fonctionnait sur une sélection naturelle. Les plus forts survivent, les moins motivés se plantent. A la base de la philosophie, une idée centrale : il faut se donner les moyens de ses ambitions et faire le maximum pour faire connaître son livre. L’existence d’un livre représente bien plus que le processus d’écriture, il faut se battre comme un guérillero littéraire.
Cela implique d’abandonner l’idée que le travail d’auteur ne se limite qu’à écrire des livres. Pour faire les choses correctement, il faut accepter l’idée de compromis et bien s’organiser, apprendre vite et savoir observer. Un auteur publié par un éditeur, qu’importe sa taille, ne doit pas se limiter aux compétences de celle-ci mais s’y ajouter. Il œuvrera bien évidemment à son échelle, sans empiéter sur le terrain de jeu de son éditeur et en s’efforçant de ne pas ruiner les efforts de ce dernier. En d’autres termes, il faut qu’il intègre qu’il a un rôle important à jouer.
Les auteurs indépendants ayant connu le succès ont récolté les fruits de leur labeur. Aussi, les plus gros vendeurs sont ceux qui proposent le plus de livres. Plus l’on publie de livres, plus l’on a de chances d’être découvert.
Les auteurs indépendants ayant connu le succès connaissent parfaitement les mécanismes de promotion et sont capables de les adapter à une situation particulière. Ils savent se faire entendre et savent quand dire les choses. Leur travail de promotion, de marketing et de communication est quotidien.
Les auteurs indépendants ayant connu le succès savent aussi que le succès est versatile et que tous leurs livres ne pourront pas cartonner. Ils n’abandonnent pas aux premières difficultés et continuent d’écrire coûte que coûte.
Devenir auteur, c’est s’engager dans une voie pour de longues années. Rien ne garantit des rentrées régulières, rien ne garantit le succès. Tous, qu’ils soient publiés par des grandes maisons, des éditeurs indépendants ou par leurs propres moyens, partent sur un pied d’égalité. Les plus doués peuvent échouer et voir des « sans-talent » connaître le succès. En tout cas, certains ont trouvé des recettes pour se donner une chance d’y accéder. A nous de déterminer ce qui peut leur être emprunté et de réitérer leur succès une fois les choses bien installées.