À l’heure où le livre numérique se développe rapidement, il est indispensable de parler des choses qui fâchent. Parmi ces choses-là, il est encore plus indispensable de parler de l’interopérabilité (est-il lié à une marque ?) des e-books achetés chez un revendeur à l’heure où les « écosystèmes d’achat et d’utilisation confortables » comme Amazon Kindle ou Apple iTunes rencontrent un succès certain auprès du grand public.
Il est d’autant plus utile de faire ce « bilan » dans le sens où l’utilisation d’un format standard (EPUB) ne garantit pas que l’utilisateur puisse rapatrier ou lire convenablement ses achats sur une nouvelle machine (et donc un nouvel écosystème), ni qu’un format propriétaire ne l’enchaîne à tout jamais dans un écosystème-prison.
Le facteur important est aujourd’hui le DRM, une sorte de protection qui permet aux éditeurs (et revendeurs) de restreindre l’utilisation faite du fichier par le lecteur. Dans la majorité des cas, une simple recherche internet permettra de se débarrasser de ce verrou en cinq minutes, mais n’oublions pas qu’une grande partie des lecteurs numériques ne sont pas familiers de ce genre de choses.
Qu’est ce qu’un DRM ?
DRM signifie Digital Rights Management. En français, cela donnerait « Système de gestion des droits numériques ». Il faut reconnaître que cela ne nous avance pas beaucoup.
De fait, un DRM empêche le lecteur d’imprimer le livre numérique qu’il a acheté, d’en copier des passages et d’en limiter le partage, qu’il soit légal (comme le prêt) ou illégal (piratage). À noter que le DRM permet également de contrôler le nombre de machines sur lequel le fichier est lisible (exemple : fichier lisible sur ordinateur + liseuse + app sur tablette + deuxième ordinateur et ainsi de suite).
Sur le marché du livre numérique, il existe 4 systèmes de DRM :
- Apple FairPlay ;
- Amazon Kindle ;
- Adobe Adept ;
- Barnes & Noble DRM (dérivé d’Adobe Adept mais pourtant non interopérable dans le sens DRM Nook Books -> DRM Adobe Adept).
Soulignons que, très souvent, choix est laissé à l’éditeur d’apposer un DRM sur ses livres numériques ou non. Dans la très grande majorité des cas, cela veut donc dire que c’est l’éditeur qui a choisi de publier avec DRM (donc avec restrictions).
Interopérabilité des différentes formes de livres numériques sur le marché
1. Apps
Comme son nom l’indique, une app (ou application) est un programme. Aussi, ce type de livre a été écrit pour la machine que vous utilisez. Autrement dit, si vous achetez une app-livre sur iPad, vous ne pourrez pas la rapatrier sur votre tablette Android —pensez à vos applications Windows qui ne fonctionnent pas sur Mac et inversement. En réalité, il faut que les développeurs « portent » l’application pour chaque système d’exploitation (iOS et Android par exemple), ce qui implique une réécriture du code de l’application dans un autre langage de programmation.
D’ailleurs, ce type de livres est disponible dans les AppStores, pas les librairies.
Interopérabilité Zéro.
2. EPUB
EPUB est un format standard pour la publication digitale. C’est le format prédominant sur le marché du livre numérique aujourd’hui puisque quasiment tous les fabricants de liseuses le supportent.
Pour autant, et même si c’est un standard, tous les fabricants et développeurs ne le supportent pas de la même façon… et des fonctionnalités présentes chez certains sont absentes partout ailleurs.
Le format EPUB va d’ailleurs évoluer et la transition risque dans se faire dans une douleur certaine —déjà que là, nous sommes obligés de nous prendre la tête pour que le livre rende pareil sur toutes les machines…
Bref, ce que nous risquons, et ce qui est en train d’actuellement se mettre en place, c’est une fragmentation d’un standard où il faudra ajouter plein de petits bouts de code dans les fichiers pour qu’ils soient de qualité égale absolument partout (mise en page, fonctionnalités, etc.).
Pour donner un exemple parlant : si vous achetez un livre enrichi sur ibookstore aujourd’hui, il ne sera pas correctement lisible ailleurs.
Autre problème, il existe 3 systèmes de DRM différents pour le format EPUB :
1. Adobe Adept :
Nous sommes sur un système géré par une entreprise privée… qui fait payer très cher ce service à ses clients. Inutile de vous lister les risques d’une telle dépendance. Imaginez que cette entreprise double (voire triple) le prix de cet « abonnement annuel » dur jour au lendemain et certains ne pourront plus suivre… Et quand, en plus, on sait que cette boîte présente son système comme une solution d’ouverture et d’interopérabilité pour les lecteurs (sic).
Si vous souhaitez changer d’écosystème et que vous avez acheté des livres numériques avec DRM Adobe, il faudra donc vous tourner vers Sony, Bookeen, B&N ou Kobo.
Si vous privilégiez un autre constructeur, il faudra vous débarrasser des DRMs sur vos fichiers (5 minutes chrono, votre moteur de recherche préféré est votre ami pour la vie).
2. Apple Fairplay :
Nous sommes sur un système qui n’est mis en place que sur les produits Apple (iPhone, iPad, iPod et iTunes, ce dernier ne permettant toujours pas de lire son livre sur son Mac ou PC…). Il n’est donc supporté nulle par ailleurs et il vous sera impossible de récupérer vos livres avec DRM achetés sur ibooks. Il n’existe aucun moyen de se débarrasser du DRM Fairplay.
Si vous souhaitez changer d’écosystème et que vous avez acheté des livres numériques avec DRM Apple, il faudra donc racheter du matériel Apple…
Si vous avez acheté des livres enrichis, il va falloir attendre un peu, le temps que les constructeurs assurent la transition vers EPUB3.
3. Barnes & Noble :
Bien que non présente en France, Barnes & Noble est un libraire numérique de poids sur le marché global. En effet, Barnes & Noble détient une part de 27% sur le marché US, et il est possible que la marque s’étende à l’international dans les prochains mois. Le DRM est dérivé d’Adobe Adept mais vous ne pourrez pas lire vos livres protégés avec le DRM B&N sur du matériel qui supporte le DRM Adobe (l’inverse étant possible). Pour le livre enrichi, B&N a son propre format (dérivé d’EPUB) appelé .ebook. Il reste quand même possible de se débarrasser des DRM par des moyens détournés (et apparemment possible de convertir le format .ebook en EPUB)
Si vous souhaitez changer d’écosystème et que vous avez acheté des livres numériques avec DRM B&N, il faudra racheter du matériel Nook.
Si vous souhaitez acheter un NOOK et que vous avez des fichiers protégés par DRM Adobe, pas de problème : ils seront lisibles sur Nook.
Si vous avez acheté des fichiers .ebook, c’est la dèche.
Bref, comme nous pouvons le voir, l’interopérabilité du format EPUB est toute théorique. Elle ne résiste pas aux enjeux commerciaux, à savoir rendre le client de la boutique captif en lui compliquant un éventuel départ chez la concurrence.
Ces mêmes enjeux commerciaux poussent les constructeurs à offrir les petites fonctionnalités en plus (livre enrichi, fixed-layout, interactivité, etc.) pour en faire des arguments qui les différencient de la concurrence. Au final, vous achetez des fichiers EPUB qui ne sont pas tout à fait les mêmes partout.
Quant aux annotations, n’espérez pas les récupérer…
3. Kindle
Ah, Amazon. Amazon, on aime beaucoup lui taper dessus vu qu’en plus d’un DRM (optionnel), ils proposent un format propriétaire (AZW, dérivé de .mobi, qui sera bientôt remplacé par Kindle Format 8).
Maintenant, soyons un peu réalistes. Dans les faits, la majorité des lecteurs ne savent même pas qu’un livre numérique peut avoir différents formats. EPUB et AZW, connaissent pas. Il faut dire que les apps Kindle (iPad, Android, Pc, Mac, etc.) donnent l’impression de pouvoir lire ses livres Kindle à peu près partout, et que le marché US (marché de référence en Occident) est trusté par des constructeurs-libraires qui fonctionnent sur un mode d’écosystème fermé ou demi-fermé. Par contre, le jour où ces lecteurs souhaitent changer leur liseuse, la découverte peut être douloureuse.
Grosso modo, il faudra donc convertir vos livres Kindle en EPUB si vous changez de crémerie.
Et on en arrive donc au moment où je vous dis que le facteur le plus important est le DRM.
Si DRM est apposé sur votre livre Kindle, vous pourrez vous en débarrasser (il suffit de chercher). Bien, sauf que votre livre est toujours au format Kindle… mais vous pouvez les convertir. Or, Amazon supporte le format EPUB en coulisses (autrement dit, « pour nous autres éditeurs ») et il est très probable que des petits malins offrent des outils de conversion aussi longtemps que nécessaire.
Bien que le format soit propriétaire, vous vivrez la même chose qu’avec EPUB s’il faut enlever les DRM. Se rajoute juste une conversion qui prend quelques secondes… (le résultat ne sera sans doute pas génial mais ce sera au moins lisible). Pour conversion, voir Calibre (ça marche également pour d’autres formats).
Que pouvons-nous faire au final ?
Les DRMs, surtout avec le contrat d’agence qui est aujourd’hui la règle sur le marché (rappel : éditeur fixe les prix, revendeur touche une commission à la vente et n’achète donc plus à l’éditeur puis fixe le prix lui-même), ne pourront pas disparaître comme ça, même si nous plissons des yeux en le souhaitant très fort. La raison est simple : un revendeur qui dirait « à partir d’aujourd’hui, plus de DRM chez nous » aurait à faire face à des retraits de catalogues de certains gros éditeurs.
La seule marge que nous avons, c’est de ne pas acheter de livres avec DRMs. Et pour ça, ils faut que la fiche produit de l’e-book fasse systématiquement mention de leur présence ou pas. Le seul point sur lequel nous pouvons faire plier les revendeurs, c’est là-dessus. Personnellement, j’irai même jusqu’à demander que le terme « DRM » s’efface au profit du terme « Restrictions d’utilisation » afin que tout client comprenne de quoi nous parlons, DRM étant un acronyme anglais incompréhensible pour le commun des mortels.
Or, nombre de libraires numériques n’en font aucune mention (Apple ou Amazon par exemple) et il ne tient qu’à nous de nous faire entendre. Une autre solution, c’est d’aller acheter ailleurs. Mais il est vrai que les librairies intégrées sont très confortables à utiliser, qu’elles évitent au lecteur d’avoir à brancher sa machine pour la synchroniser, etc. Nous pouvons donc comprendre que c’est un effort supplémentaire pour des lecteurs qui ne comprennent pas ce qu’est un DRM, etc.
Malheureusement, il faudra le faire à la main —alors que j’avais développé une technologie Un-Clic-Une-Claque® pour l’occasion…
Cliquez sur les liens suivants pour faire entendre votre voix :
PS : si vous en repérez d’autres dans le même cas, merci de me prévenir pour MAJ article.
Il y a encore une autre solution et il est probable que ce sera celle qui sera adopté par bon nombre d’utilisateur : se procurer les fichiers par la bande, autrement dit le téléchargement illégal, avec tout les problèmes et questions que cela pose. Avec encore une fois les créateurs qui en payeront les pots cassés tout comme cela se passe pour la musique.
D’ailleurs une chose à avoir : l’éditeur français qui vend le plus d’ebook et le seul à les proposer sans drm…
LordPhoenix : oui, c’est une possibilité très probable, d’autant plus probable si les versions numériques sortent avec un certain retard (aux USA, il y a parfois 9 mois de décalage sur certaines sorties). Sans oublier que ces fichiers piratés sont souvent… corrigés (fautes de français, mise en page, formatage, etc.).
Après, ce qui me dérange beaucoup, c’est que le lecteur ne puisse pas faire une différence entre un éditeur qui appose des DRMs et un éditeur qui a choisi de ne pas en imposer en achetant un livre (donc sur la fiche-produit). Du coup, seuls ceux qui s’intéressent à ces problèmes-là le savent et savent à qui faire « confiance »…
Petit truc intéressant dans l’interopérabilité des Apps : il y a actuellement un soft pour faire tourner les Apps Android sur un PC et en développement une autre application iOS pour faire tourner des Apps Android.
Bien sur cela reste très « geek » et pas pour l’utilisateur lambda.
Yep, surtout que je vois mal Apple laisser une app comme ça sur Appstore. Donc ça sera certainement sur du matériel « jailbreaké ».
J’ai hésité à mettre que des outils existent pour transformer du HTML5 en app côté éditeur (exemple, le framework Baker). Mais c’est bien trop technique pour figurer dans cet article et, de plus, ça implique que les développeurs mettent en place un système alternatif où tu reçois l’app gratuitement si tu changes d’appareil (un peu comme Bragelonne qui fournit fichier sans DRM à la demande du client par mail).
Dans ce cas-là, la base est effectivement commune (HTML5) mais les écosystèmes fermés font disparaître cette interopérabilité… et c’est l’éditeur qui doit assurer derrière dans les limites techniques qu’il se voit imposé (pas d’install App iOS possible en dehors d’AppStore dans un cadre normal -> soit on passe sur une webapp, soit on passe sur un « coupon-code » pour pouvoir téléchargement gratuitement l’application, mais le nombre de ces coupons est limité à 100).
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