Il semblerait bien que l’avenir du livre numérique passe par le smartphone. Si l’on en croit en effet un sondage récent effectué par Nielsen, plus de la moitié des sondés utilisent parfois leur smartphone pour lire. De plus, 14 % des 2000 personnes interrogées lisent exclusivement sur cet appareil.
S’il peut paraître surprenant qu’un appareil n’offrant pas forcément une expérience de lecture optimale soit de plus en plus utilisé, nous pouvons tout de même y voir un mouvement logique :
- le smartphone est à portée de main, en permanence ;
- avec la 3G, il est quasiment connecté partout, tout le temps, ce qui n’est pas forcément le cas d’une liseuse ou d’une tablette WiFi (merci Translucere pour ce point) ;
- la phablet (iPhone 6 par exemple) propose un plus grand confort de lecture grâce à son écran plus grand ;
- le smartphone est l’appareil le plus répandu, loin devant la tablette ou la liseuse ;
- on lisait déjà sur smartphone mais pas forcément des livres.
Autant des points que nous avions abordé il y a 2 ans lors du lancement d’Édito/Design/Hack.
Le smartphone est à considérer aujourd’hui comme un challenger qui monte en puissance : nous ne pouvons plus l’ignorer, ce serait une erreur de ne pas le prendre en compte. Des éditeurs anglo-saxons importants l’ont d’ailleurs bien compris et expérimentent : couvertures adaptées, extraits téléchargeables dans les aéroports, trains et hôtels, etc.
Mais du côté du design eBook, qu’est-ce que le smartphone change ?
Reflow ou (quasiment) rien
Si l’idée de lire un livre sur smartphone est inimaginable pour certains, il ne faudrait pas oublier que le reflowable text a été pensé pour s’adapter aux différents supports — déjà et pas encore — disponibles sur le marché.
N’oublions pas que les assistants personnels (PDA), notamment les appareils Palm, ont assez largement entamé la démocratisation du livre numérique. Les smartphones ne feraient presque que reprendre le flambeau aujourd’hui.
Ainsi, le lecteur peut appliquer ses préférences personnelles (police de caractères, taille, couleur de fond, etc.) donc optimiser la composition en fonction de ses besoins ou de ses envies.
Cela n’est pas vrai pour le fixed-layout, dont la mise en pages fixe ne peut être modifiée. Nous nous rapprochons ici de l’expérience utilisateur d’un PDF : il faut zoomer et parcourir le contenu « par glissé ». Certes, on cherche aujourd’hui à simplifier le travail de l’utilisateur avec de nouvelles spécifications mais cela ne va pas sans dénaturer le design éditorial, sa fonction et son importance. Cela est même paradoxal à mon sens puisque si l’on fait le choix du fixed-layout, c’est justement parce que le design éditorial le nécessite…
À moins d’adapter la mise en pages fixe à des écrans de 5–6 pouces, ce qui pose irrémédiablement des contraintes économiques et pratiques, on se tournera donc vers le reflowable text. Les nouveaux thèmes ePub d’iBooks Author, arrivés en même temps que le support iPhone, sont un signal fort dans ce sens — nous pouvons néanmoins nuancer dans le sens où les livres dont le contenu n’est pas majoritairement textuel, comme les livres jeunesse ou les livres photo par exemple, peuvent pourquoi pas s’accommoder du fixed-layout sur smartphone.
Retour au rotulus
Il est intéressant de constater que de plus en plus d’apps mobiles font le choix du scroll : iBooks s’est vu ajouter ce mode de lecture il y a plus d’un an, Gerty et Oyster ne possèdent pas de mode « paginé », Kindle sur l’Amazon Fire Phone déroule même le livre à l’aide du gyroscope…
S’il est difficile de savoir qui de l’utilisateur ou du designer a scrollé en premier, nous pouvons tout de même penser qu’une partie non négligeable des lecteurs utilisent ce mode « rotulus » — et non pas « volumen », merci Thierry Crouzet pour la correction. Et à partir de là, nous devons forcément composer avec le rythme vertical et une mécanique de lecture plus « web » dans l’esprit.
Lecture morcelée
Le smartphone semble impliquer des usages et pratiques assez spécifiques. On pense notamment aux minutes voire heures d’attente à combler, au temps disponible dans les transports en commun, mais également aux livres achetés et commencés sur son smartphone — de plus en plus fréquent chez Apple et Kobo par exemple.
Bref, on n’ouvre probablement pas un livre sur son smartphone comme on l’ouvre sur sa tablette ou sa liseuse : on ne va peut-être pas s’y plonger pendant des heures, on se retrouve parfois dans un environnement bruyant, on doit arrêter la lecture par obligation, etc.
Pour certains types d’ouvrages, notamment la non-fiction, on essayera de garder tout cela à l’esprit lors de la conception (navigation via table des matières, index et liste des vidéos, repères pour s’y retrouver, poids du fichier à télécharger, etc.).
Pour les livres interactifs, on pourra également s’inspirer de ce qui se fait par ailleurs, du côté de FaceBook par exemple : puisque les vidéos démarrent automatiquement en « muet », des producteurs de contenu intègrent des sous-titres. Cela n’a l’air de rien mais en plus d’améliorer l’accessibilité de ces vidéos, cela permet également au lecteur dépourvu d’écouteurs dans un lieu public de pouvoir la regarder sans gêner les autres.
Composer pour les petits écrans
La composition typographique, revenons-y plus en détail.
Les petits écrans amènent quelques contraintes supplémentaires : l’espace étant compté, il est difficile d’envisager composer comme nous le ferions à l’accoutumée…
- la largeur de la « page-écran » ne permet pas une bonne justification ;
- elle ne permet pas non plus de trop grandes tailles de caractères (pensez aux titres contenant des mots longs susceptibles de dépasser dans la marge donc d’être coupés) ;
- la hauteur disponible doit être prise en compte pour créer de belles proportions (marges verticales) ;
- il y a peu de mots sur chaque écran, tourner la page est très fréquent — le tap comme métronome —, le rythme doit par conséquent être bien travaillé ;
- les tableaux doivent être évités à tout prix ;
- les images qui apportent du sens doivent être bien lisibles, il faut donc éviter le
float
et profiter de toute la largeur/hauteur disponible.
L’alignement à gauche, une échelle typographique et des marges plus mesurées, des sauts de page et une mise en page simplifiée (pas de lettrine, décorations minimales, images occupant toute la largeur de l’écran, etc.) sont donc avisés pour obtenir un confort de lecture optimal.
Espérons que les media-queries bénéficient d’un support plus robuste dans les prochains mois. Ils pourraient permettre de gérer tout ceci plus facilement mais les bugs existants compliquent la tâche au-delà du raisonnable.
En attendant, le plus simple reste de trouver un compromis pour tous les appareils, en essayant d’appliquer tous ces points.
Conclusion
S’il est forcément difficile de proposer un compte-rendu exhaustif du design eBook pour smartphone, au moins pouvons-nous commencer à nous y intéresser et expérimenter.
Même si le smartphone n’écrase pas tout sur son passage dans notre domaine, le fait de le prendre davantage en compte ne pourra que bénéficier à la conception de livres numériques.